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— Eh bien, je t’écoute… parle.

— Lorsque nous serons seuls, — répond le jésuite en désignant du regard l’aide de camp. — Notre entretien doit être secret.

— Mon aide de camp est un second moi-même… il doit tout entendre… parle.

— Je ne le crois pas, général… et lorsque vous saurez ce dont il s’agit…

— Assez… assez… parle à l’instant, ou va-t’en… Le jour va paraître… et tu dois être fusillé ce matin.

— Je parlerai donc, général, puisque vous l’exigez… Voici les faits : — C’était le lendemain de la bataille de Watignies… un colonel de cavalerie de l’armée républicaine, fait prisonnier par…

— Attends un moment, — dit vivement le général Donadieu visiblement troublé dès les premières paroles du jésuite, et paraissant réfléchir en s’adressant au prisonnier : — Tu espères sans doute obtenir un sursis pour prix de tes révélations ?

— Oui, général… j’espère même mieux qu’un sursis.

— Ce sursis, je ne pourrais te l’accorder sans l’autorisation des représentants du peuple en présence de qui tu as été interrogé. — Puis, se tournant vers son aide de camp : — Capitaine, allez sur-le-champ trouver le citoyen Saint-Just et lui demander si je puis faire surseoir à l’exécution de cet homme, dans le cas où ses révélations me sembleraient dignes de créance.

— Je vais exécuter vos ordres, mon général, — répond l’aide de camp sortant de la chambre, tandis que le jésuite Morlet se disait à part soi :

— Le Donadieu me sert au delà de mes souhaits : il vient de se fourrer lui-même dans un affreux guêpier, grâce au prétexte dont il s’est servi pour éloigner cet officier dont il redoutait la présence…

Le général, parvenant à dominer l’inquiétude dont il a été saisi aux premières paroles du jésuite, et ne supposant pas que celui-ci eût deviné la cause secrète de l’ordre donné à l’aide de camp, reprend d’une voix hautaine, espérant imposer au prisonnier : — Tu disais donc que, le lendemain de la bataille de Watignies, un colonel de cavalerie…

— Général Donadieu, — répond le jésuite d’un ton impérieux, — les moments sont comptés, si, avant le retour de votre aide de camp, vous ne trouvez pas le moyen de me mettre en liberté, vous êtes perdu.

— Perdu… moi ?

— Oui, perdu… et voici comme. Écoutez et avisez : prisonnier à la