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la France, calme, prospère, jouit de la paix intérieure, aujourd’hui, qu’après quelques échecs bientôt réparés, nos armées sont partout victorieuses, bien qu’elles ne soient pas commandées par le général Bonaparte, celui-ci, après avoir déserté l’Égypte, s’efforce avec sa jactance italienne, de persuader à la France qu’elle est perdue si elle ne se livre à lui pieds et poings liés ! Quoi ! oser dire à la France de 93 et de 94 : « À genoux devant mon épée ; sacrifie-moi en holocauste tes libertés les plus chères, sinon je ne te sauve pas, et au besoin je te sauve malgré toi. » Est-ce assez d’outrecuidance ?

LE COLONEL OLIVIER. — Le général Bonaparte n’exige pas le sacrifice de toutes les libertés.

LEBRENN. — Vraiment ! Ce bon prince daignera nous laisser probablement la liberté de l’adorer… Mais, voyons, Olivier… À part ses victoires, son génie militaire incontestable, quelles garanties, quelles espérances a-t-il données au peuple, ce futur dictateur ? Les journaux dont il dispose enregistrent chaque jour ses discours, des fragments de ses lettres et jusqu’à ses moindres paroles. Quel est le programme du général Bonaparte ? A-t-il dit ou écrit, par exemple : — « La constitution de l’an III a exclu les prolétaires du scrutin ; je demande que le droit de suffrage leur soit rendu, » ou bien encore : — « La constitution de l’an III et des lois arbitraires avaient, sinon complètement aboli, du moins apporté les plus grandes entraves au droit de réunion et d’association, à la liberté de la presse et autres droits imprescriptibles, garantis par la déclaration des droits de l’homme. — Moi Bonaparte, je veux que le peuple soit remis en possession de ces droits, » ou bien encore : — « La Convention avait rendu en 93 et en 94 d’admirables décrets sur l’éducation nationale, sur l’instruction publique, sur l’assistance due aux veuves, aux orphelins, aux vieillards. — Moi, Bonaparte, je demande que ces décrets, anéantis après thermidor, soient de nouveau mis en pratique ? La Convention, en décrétant l’impôt progressif, atteignait le superflu du riche et respectait le nécessaire du pauvre. — Moi, Bonaparte, je demande le rétablissement de l’impôt progressif ; oui, en aspirant à la dictature, mon désir est d’assurer l’affranchissement moral du peuple par l’instruction, et son affranchissement matériel, son bien-être, par des réformes sociales, de prétendre enfin le rendre de plus en plus digne d’exercer ses droits souverains, en lui donnant conscience de ses devoirs. » — Oh ! alors, en présence de déclarations pareilles, et si j’avais surtout fiance en leur loyauté, je combattrais toujours la dictature de votre général,