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est morte. (Le colonel, ému, tressaille ; son regard devient humide.) C’était pour la vouer à la république que ma sœur vous a sauvé la vie en vous arrachant à un lâche suicide ! c’était pour les conserver à la république que ma sœur a si puissamment concouru à développer vos aptitudes militaires ! c’était pour vous rendre digne de servir la république que, voulant préserver votre jeunesse de ces entraînements funestes où l’âme s’énerve et se dégrade, que Victoria vous a suivi à la guerre, espérant développer vos vertus civiques, votre patriotisme, sans lesquels le métier de soldat n’est qu’un métier de tueur à gages ; aussi, rêvait-elle pour vous les destinées de Hoche, de Marceau, de Joubert ; elle vous voyait, comme eux, grand capitaine autant que grand citoyen… Et vous auriez l’odieux courage de trahir la république, lorsque c’est en son nom sacré que Victoria s’est dévouée pour vous jusqu’à la mort ! L’avez-vous donc oubliée cette mort… Olivier ? dites !… Les paroles suprêmes de cette femme héroïque, martyre de sa tendresse pour vous, sont-elles donc à jamais effacées de votre souvenir ?

LE COLONEL OLIVIER, de plus en plus ému. — Non, non, je serais le plus ingrat des hommes !

LEBRENN, d’une voix tendre et pénétrante. — Cette république que tu veux renverser, quel mal t’a-t-elle donc fait, ingrat enfant ?

LE COLONEL OLIVIER. — Elle ne m’a fait aucun mal.

LEBRENN. — Et ce général, dont tu es devenu l’aveugle séide, et en faveur de qui tu conspires, quels sont donc ses titres à tes yeux ?

LE COLONEL OLIVIER. — Ses victoires !

LEBRENN. — Ses victoires ! Est-ce que la gloire militaire de Hoche, de Marceau, de Joubert, de Masséna, de Moreau, de Kléber, d’Augereau, de Bernadotte, de Desaix, n’égale pas celle de ton général ? Mais, soit, j’y consens, il les dépasse de cent coudées ; il est le plus grand capitaine des temps anciens et modernes ; est ce donc une raison pour lui décerner la dictature qu’il prétend imposer à la France avec tant de présomption et d’audace ?

LE COLONEL OLIVIER. — Si cette dictature doit sauver le pays, à qui la confier, sinon au général Bonaparte ?

LEBRENN. — Et à quoi bon une dictature ? Pourquoi confier à un homme ce pouvoir exorbitant qui frappe de vertige les têtes les plus fermes ? Est-ce qu’en 93, en 94, alors que la patrie, menacée au dehors, au dedans, a triomphé des plus grands périls dont elle ait jamais été menacée, l’on a décerné la dictature à un homme, se nommât-il Danton, Saint-Just ou Robespierre ? Et aujourd’hui que