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LEBRENN. — Oui, et elle est complète. À la liberté vous voulez substituer le despotisme ; à l’égalité, une aristocratie militaire ; à la fraternité, l’égoïsme impitoyable de l’homme de guerre par métier, qui, pour conquérir un grade, massacrerait ses concitoyens, si son chef lui disait : « Tue ! »

LE COLONEL OLIVIER. — Il n’y a pas d’armée permanente possible sans une discipline de fer, et il n’est pas de sécurité pour un grand pays sans un pouvoir inflexible, appuyé sur l’armée.

LEBRENN. — En un un mot, vous êtes partisan de la dictature militaire ?

LE COLONEL OLIVIER. — C’est mon opinion, et aujourd’hui celle du pays ; la France, après tant d’années de licence et d’anarchie, après tant d’horribles excès révolutionnaires, a besoin d’ordre, de repos, de stabilité, de hiérarchie, et une autorité énergique concentrée entre les mains du plus grand capitaine des temps modernes, peut seule assurer au pays ces avantages.

LEBRENN, après un moment de silence, et d’une voix profondément émue. — Olivier, mon enfant… car ma sœur et moi, nous vous avons aimé comme un fils ; vous étiez, comme moi, citoyen et soldat aux jours héroïques de la république ; je vous en conjure, rappelez vos souvenirs, rappelez-vous ce sublime élan de 93, où tout un peuple, debout et en armes, triomphait des immenses armées de la coalition ; vous les avez vus à l’œuvre, ces révolutionnaires immortels par le courage, par le patriotisme, par l’éloquence, par le génie : Danton ! Camille ! Saint-Just ! Robespierre ! Vous les avez lus, ces décrets de la Convention, qui, fondant le crédit public, apportaient l’ordre, l’économie, dans les dépenses de l’État, frappaient l’usure, les accapareurs, assuraient la subsistance des prolétaires, pourvoyaient à leur instruction, assistaient les veuves, les orphelins, les vieillards ! Vous l’avez admiré ce religieux respect du peuple pour l’autorité de la Convention ; jusqu’en thermidor, vous avez été témoin de la déférence des troupes et des généraux pour les représentants en mission aux armées. Oui, de ces grandes choses, vous avez été témoin, et ces années, fécondes, héroïques, sans égales dans l’histoire du monde, ne sont plus pour vous à cette heure qu’une époque de licence, d’anarchie et d’horribles excès. Olivier, mon enfant, si l’on peut juger de la valeur d’une cause par la valeur de ceux qui l’embrassent, dites ? la foi républicaine a-t-elle jamais inspiré plus touchant, plus vaillant dévouement que celui dont Victoria vous a donné tant de preuves couronnées par sa mort, car c’est pour vous, oui, pour vous, qu’elle