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d’hommes de foi et d’énergie pour commencer un mouvement. La masse, engourdie ou abusée, se réveille aux premiers coups de fusil, et bientôt l’odeur de la poudre, le bruit du tocsin, la vue de ses frères marchant au combat, raniment les instincts guerriers du peuple, l’exaltent, l’entraînent ; l’insurrection ne comptait à son début qu’une poignée de héros, mais bientôt elle s’étend, se propage, et les faubourgs entiers sont soulevés !

CASTILLON. — Sacredieu ! capitaine Martin, l’eau m’en vient à la bouche. Ah çà ! s’il était vrai, et je ne peux pas le croire, que le petit caporal veuille donner le coup de pouce à la république, faudrait donc décrocher de son clou mon vieux fusil de volontaire de 93 ?

DUCHEMIN. — Oui, et ça irait, nom d’un canon ! Nous entraînerions facilement les patriotes de la brasserie Santerre et Santerre lui-même, et nous tâcherions de préparer le faubourg Antoine à une insurrection.

LEBRENN. — Et si elle a lieu, que ce soit aux cris de : Vive la constitution de 93 ! Dernière protestation du peuple lors des journées de floréal et de germinal. Ce cri aura de l’écho dans les vieux quartiers de Paris.

MARTIN. — Et si, à l’imitation de Louis Capet, lors de son attentat contre la Constituante, le général Bonaparte entreprend de dissoudre le conseil des Cinq-Cents par la force, je vous réponds qu’à moins qu’ils ne soient prisonniers ou fusillés, les représentants du peuple seront en tête de l’insurrection, si les faubourgs prennent les armes.

LE DOMESTIQUE, entrant. — M. le colonel Olivier demande à vous parler, citoyen.

MARTIN. — Qu’il vienne. (Le domestique sort.) Castillon, et vous, Duchemin, voulez-vous aller au faubourg Antoine vous aboucher avec les ouvriers de Santerre ?

CASTILLON. — Oui, nous y allons de ce pas.

DUCHEMIN. — C’est dit ; et, de plus, j’irai flâner au quartier du 5e de canonniers à cheval : je connais quelques sous-officiers de ce régiment, autrefois bons patriotes, je tâterai le terrain.

LEBRENN. — Et rendez-vous ici ce soir à huit heures, afin de nous concerter selon les événements.

CASTILLON. — À huit heures, c’est convenu.

Le colonel Olivier est introduit, il porte avec une aisance militaire le brillant uniforme des dragons. Sa physionomie martiale est hautaine, impérieuse et rude ; tout décèle en lui l’inflexible arrogance du commandement ; il n’a d’abord reconnu, ou plutôt accordé