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veut, c’est la dictature, c’est le pouvoir absolu : royauté déguisée d’abord, après quoi il lèvera le masque. Nos dernières libertés, payées par nous de notre sang et de celui de milliers de nos frères, nous seront ravies, et une effroyable tyrannie pèsera sur la France.

DUCHEMIN. — Moi qui connais le pèlerin, veux-tu qu’en deux mots je te dise, Castillon, quel sera le gouvernement du petit caporal ? Silence dans les rangs, attention au commandement… Arche !!! Et voilà, mon vieux.

MARTIN. — C’est cela, bravo !

DUCHEMIN. — Tonnerre ! et c’est pour en arriver là que nous aurions jeté la tête et la couronne de Luis Capet aux rois d’Europe dont nous chambernons les armées depuis six ou sept ans au nom de la république et de la liberté !

LEBRENN. — Ainsi, après avoir proclamé les droits de l’homme, appelé les peuples à l’indépendance, au nom de la révolution, la France du 14 juillet, du 10 août, du 22 septembre, du 31 mai, la France de la terreur, la France du comité de salut public serait demain muette, soumise et tremblante devant le général Bonaparte, comme un peloton de conscrits devant leur caporal !

CASTILLON. — C’est vrai, citoyens, ça serait honteux ! et rien que de penser à cela, nom d’un nom ! je sens bouillir mon vieux sang de patriote de 93. Mais faut pas s’abuser, je connais mon faubourg Antoine comme ma poche, et celui-là est le père aux autres ; eh bien ! je vous le répète, le peuple en tient pour le général Bonaparte, parce que tout le monde le croit bon républicain, et que, à cause de ses victoires, son nom sonne aux oreilles comme un clairon ; enfin, on se dit : « Celui-là doit tout à la république, pourquoi la trahirait-il ? Autant vaudrait le croire capable de tuer sa mère. » Donc le peuple, toujours crédule comme un enfant, a confiance et espoir en Bonaparte ; c’est peut-être fâcheux, mais que voulez-vous ? il en est ainsi.

LEBRENN. — De sorte que si, demain, par exemple, le général proscrivait le conseil des Cinq-Cents, où siègent les derniers républicains, et s’emparait de la dictature, les faubourgs le laisseraient impunément commettre cet attentat ?

CASTILLON. — Quelques anciens patriotes et les ouvriers de la brasserie de Santerre s’émouvraient peut-être dans le faubourg Antoine, mais voilà tout !

MARTIN. — C’est beaucoup ; il suffit souvent d’une centaine