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DUCHEMIN. — Ah ! fichtre, oui ! car il a appris en Égypte le métier de pacha ; il nous donnerait de la liberté environ comme en Turquie. Ah ! mon vieux Castillon, si tu savais ce que c’est que l’armée depuis qu’il n’y a plus là de représentants du peuple pour rappeler aux généraux que le soldat est, comme eux, citoyen, et qu’on doit respecter ses droits, sa dignité. Tiens, j’ai servi sous l’ancien régime, eh bien ! foi d’homme, les officiers aristocrates ne nous traitaient pas plus durement que notre ancien camarade, le colonel Olivier ; aussi l’on ne se bat plus avec le même entrain qu’au temps des grandes guerres de la république. En ce temps-là, tu t’en souviens, soldats et officiers fraternisaient, marchaient au feu en camarades, chantant la Marseillaise ou Ça ira ; enfin on savait pourquoi l’on se battait : c’était pour la république, c’était pour affranchir les peuples, tandis que je te demande un peu, mon vieux Castillon, la belle jambe que ça me faisait d’aller aux cinq cents diables me cogner avec les mameluks. Qu’est-ce que le soldat comprenait à cette guerre-là ? On tapait toujours dur, c’est vrai, parce qu’il vaut mieux tuer que d’être tué ; mais, c’est égal, si le courage y était toujours, le cœur n’y était plus, parce qu’on ne se battait non plus comme autrefois pour une idée que chacun comprenait, mais seulement pour fricoter de la gloire au général en chef, et il nous en a drôlement remercié en filant son nœud et nous laissant dans le pétrin, à seule fin de venir ici mettre le gouvernement et la liberté dans sa poche.

CASTILLON. — Mais puisque le petit caporal dit qu’il faudrait être un monstre ou un fou pour jouer le rôle de César ou de Cromwell… faut bien le croire.

LEBRENN. — Il ment !

CASTILLON. — Un si grand vainqueur ! le héros d’Arcole et de Lodi ! le mitrailleur des monarchiens en vendémiaire ? il oserait…

DUCHEMIN. — Lui ?… Ah ! mon vieux, si tu avais le dixième bulletin de l’armée d’Égypte… Quelle colle !

CASTILLON. — S’il mentait, ce serait un traître, et alors on verrait… voir, nom d’un nom !

LEBRENN. — Il serait trop tard, le coup serait fait.

MARTIN. — Mordieu ! quoi ! le peuple de Paris, qui a renversé au 10 août la plus vieille monarchie du monde, se laisserait rebâter, museler de nouveau !

CASTILLON. — Mais, sacrebleu ! capitaine Martin, puisqu’il veut la république, cet homme ! Il le répète, il le jure, il l’imprime, il le crie sur les toits !

LEBRENN. — Je te le répète, Castillon, ce qu’il