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elle le fameux duo du troisième hussards, ne soit plus des nôtres ?

LEBRENN. — Vous parlez d’Olivier ?

DUCHEMIN. — Oui, je l’ai retrouvé lieutenant-colonel en Égypte ; il est devenu colonel ; crâne soldat toujours, il faut être juste ; mais quant à être républicain, merci !

CASTILLON. — Qu’est-ce qu’il est donc, alors ?

DUCHEMIN. — Aristocrate, et des plus huppés !

CASTILLON. — Aristocrate ! lui, Olivier ?… un galopin d’apprenti qui soufflait à notre forge !… tu entends, l’ami Jean ? Olivier, aristocrate ; s’il n’y a pas de quoi faire rire une poupée !

LEBRENN. — Oui, j’entends et je ne partage pas ta surprise. (À Duchemin.) Et quelles preuves d’aristocratie a données le colonel Olivier ?

DUCHEMIN. — Il dit qu’on a eu tort de ne pas fusiller jusqu’au dernier des jacobins et des révolutionnaires ; que ç’a été quasi un crime d’abolir les croix, les crachats et les titres de noblesse, vu que ça encourageait les officiers à bien servir.

CASTILLON, outré. — Nom de nom ! Ah çà ! ce n’est donc rien que de faire dire de soi qu’on a bien mérité de la patrie ! récompense civique dont se montraient si fiers Hoche, Marceau, Joubert et tant d’autres grands généraux patriotes !

LEBRENN. — Enfin, voyons, Castillon, quelle est, au vrai, l’opinion du faubourg Antoine ?

CASTILLON. — Après la mort de Robespierre et des Jacobins, tu le sais comme moi, l’ami Jean, le retrait de la loi sur le maximum et sur les agioteurs ayant fait quadrupler le prix des denrées et baisser d’autant la valeur des assignats, le peuple, regrettant trop tard d’avoir cru à la trahison de Maximilien et des jacobins, est tombé dans une affreuse détresse ; enfin, poussé à bout par la misère, exaspéré de voir les patriotes prisonniers ou assommés par les muscadins, il s’est insurgé en floréal et en germinal, demandant du pain et la constitution de 1793 ; puis, se laissant bêtement prendre aux belles promesses de la Convention, il a rendu ses armes et ses canons. Eh bien, depuis ce temps-là, le peuple est las, dégoûté de la politique ; il n’a plus son droit de suffrage direct ; tout lui est égal, le travail ne manque pas, le pain n’est pas cher sous le Directoire, l’on va trinquer à la guinguette, et quand on parle du 14 juillet, du 10 août, ou bien des fameuses années de 93 et de 94, on a l’air de revenir du Congo.

DUCHEMIN. — C’est ce que me disaient quelques vieux sans-culottes de la brasserie de Santerre.