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pauvre Rouget a eu le sort de Gris-Gris, il est mort en brave cheval de guerre : il a reçu un boulet dans le ventre à la bataille d’Altenkirchen. Quant à Carmagnole, mon amour de bouche à feu, elle a crevé de rire, la bonne pièce… en envoyant une triple charge de mitraille aux Autrichiens ; après quoi, veuf de Carmagnole, je suis parti pour l’Orient.

MARTIN. — Ainsi, vous avez fait la campagne d’Égypte ?

DUCHEMIN. — Pour mon malheur ! Chienne de guerre !… Et Bonaparte ?… filer son nœud sans tambour ni trompette… laisser l’armée dans le pétrin… Nom d’un nom ! quels cris, quelles vociférations contre le petit caporal, quand on a su qu’il nous abandonnait. Si on l’avait tenu, on l’écharpait !

MARTIN. — Vous avez donc quitté l’Égypte après lui ?

DUCHEMIN. — Trois jours après, avec un convoi de blessés qu’on renvoyait en France ; notre navire a eu la chance d’échapper aux croiseurs anglais et de débarquer à Toulon. De là, j’ai demandé à venir en convalescence dans mon vieux Paris ; pour revoir mon vieux faubourg Antoine et les vieux sans-culottes de 93, s’il en restait. Il n’en reste pas épais, c’est vrai ; mais ceux qui restent sont des bons, des solides, à preuve le camarade Castillon, l’un des premiers que j’ai rencontrés dans le faubourg. Il m’a dit qu’il venait vous voir ce matin, mon capitaine, et en ma qualité d’ancien soldat de l’armée de Rhin et Moselle et de pur jacobin, j’ai cru pouvoir me permettre d’accompagner Castillon.

MARTIN. — Vous ne pouviez me faire un plus grand plaisir, mon camarade ; les fidèles de 93 sont rares de notre temps.

DUCHEMIN. — À qui le dites-vous, mon capitaine ; je ne reconnais plus mon faubourg Antoine : sauf quelques ouvriers de la brasserie du ci-devant général Santerre, qui a eu l’avantage de conduire Capet à la guillotine, tout le reste des citoyens sont engourdis comme des marmottes. (À Lebrenn qui, après s’être entretenu à demi-voix avec Castillon, se rapproche.) Salut et fraternité, citoyen Lebrenn : je suis devenu si moricaud en Égypte, que peut-être vous ne me reconnaissez pas non plus.

LEBRENN. — Castillon vient de m’apprendre sa rencontre avec vous, mon brave ; mais, croyez-le, mon cœur aidant, j’aurais toujours reconnu un frère d’armes qui a accompagné ma sœur jusqu’à sa dernière demeure.

DUCHEMIN. — Crâne soldat que votre sœur, citoyen Lebrenn, et fameuse républicaine. Pourquoi faut-il que l’autre, qui formait avec