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à ce sujet. » MOI. — « Et nous, citoyen, nous croirions trahir et perdre la république en la livrant à un dictateur. Pourquoi, d’ailleurs, la dictature ? Les dernières élections sont en immense majorité républicaines. Nos armées sont partout victorieuses ; le crédit, l’industrie, le commerce, sont florissants, et… » BONAPARTE, m’interrompant. — « La dictature ou rien [1]. » MOI. — « La dictature, jamais ! Adieu, citoyen. » Tel a été, mot pour mot, mon entretien avec le général. Vous êtes, j’imagine, convaincus comme moi que si l’on confiait la dictature à ce nouveau César, le dernier jour des libertés de la France aurait sonné. — J’oubliais de vous dire que j’ai vu Bernadotte entrer chez Bonaparte au moment où je quittais sa maison.

LEBRENN. — Ne m’aviez-vous pas dit, mon cher Martin, que vous comptiez sur le général Bernadotte ? qu’il était des vôtres ?

MARTIN. — Jusqu’ici, nous l’avons cru. Ce serait une nouvelle défection.

DELBREL. — Peut-être est-ce attacher trop d’importance à cette visite.

GRANDMAISON. — Néanmoins, et ainsi que je le craignais, les réponses du général Bonaparte ne peuvent nous laisser aucun doute sur ses projets ; bien qu’il m’ait déclaré son peu d’estime pour Sieyès et pour les siens, il est à eux.

MARTIN. — Ou plutôt ils sont à lui ; il les joue ou les jouera. Croyez-vous que Bonaparte consente jamais à être l’instrument de Sieyès ? D’un autre côté, ce dernier, dévoré d’ambition et d’orgueil, n’acceptera jamais volontairement la dictature du général.

LEBRENN. — Selon moi, Bonaparte se servira de Sieyès et du conseil des Anciens pour dissoudre le conseil des Cinq-Cents, dernier espoir de la république ; puis, ce coup d’État accompli, grâce à l’influence de Bonaparte sur l’armée, il s’emparera de la dictature.

MARTIN. — Nous protesterons à la tribune, et par les armes s’il le faut ; en faisant un appel au peuple pour défendre la loi, la constitution.

GRANDMAISON. — Le conseil des Cinq-Cents se déclarera en permanence.

DELBREL. — Et nous mettrons hors la loi le futur César.

LEBRENN. — Pourquoi ne pas commencer par là ? Pourquoi Moulins et Gohier, ces deux membres du Directoire, républicains sincères,

  1. Histoire parlementaire de la Révolution, p. 497, v. XXXVIII.