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DELBREL. — Afin de se rallier au parti victorieux.

LEBRENN. — De sorte que Barras ne se ralliant ni à Sieyès ni à Roger Ducos, ni à Moulins ni à Gohier, ses collègues du Directoire, le général Bonaparte, selon le concours qu’il prêtera aux factieux du conseil des Anciens ou aux républicains du conseil des Cinq-Cents, devient maître de la situation, qui ne peut se dénouer que par un coup d’État militaire ?

DELBREL. — Et le choix de Bonaparte, entre la contre-révolution et la république, n’est malheureusement guère douteux.

MARTIN, voyant entrer le citoyen Grandmaison, son collègue aux Cinq-Cents. — Nous allons être sans doute fixés sur les projets du général… voici Grandmaison (Désignant à ce dernier Jean Lebrenn.) — Je vous présente l’un de mes meilleurs amis ; il est des nôtres et arrive de Vannes.

GRANDMAISON salue Lebrenn, et s’adressant à ses deux collègues. — Je sors de chez le général Bonaparte.

MARTIN et DELBREL, avec anxiété. — Que vous a-t-il répondu ?

GRANDMAISON. — Machiavel est dépassé : le Corse jouerait le Florentin par-dessous la jambe.

MARTIN. — Ainsi, rien de précis, pas d’engagement ?

GRANDMAISON, tirant de sa poche un papier. — Voici, pour ainsi dire, le procès-verbal de mon entretien avec le général. Le sujet était si grave, qu’aussitôt après notre entrevue, je suis entré dans un café où j’ai noté les réponses de Bonaparte, afin de ne rien oublier. Donc, j’arrive à sa maison de la rue de la Victoire. Cette demeure offrait déjà l’aspect d’un quartier général en temps de guerre. Des officiers de tout grade et de toute arme, l’air matamore, sabres traînants, éperons sonnants, venaient rendre hommage à l’idole de l’armée. Ils encombraient les deux salons lorsque je m’y suis présenté. Mes habits bourgeois m’ont valu quelques sourires dédaigneux. J’étais attendu ; je me nommai à un aide de camp, et ajoutai ma qualité de membre du conseil des Cinq-Cents : ce titre me valut de nouveaux sourires sardoniques de la part des traîneurs de sabre, et bientôt je fus introduit dans le cabinet du général ; il écrivait devant une table chargée de papiers ; il ne se leva point quand j’entrai : ceci me parut impoli, même de la part du vainqueur d’Arcole et de Lodi. Il m’adressa brusquement, impérieusement la parole. Je commençai par prendre un siège qu’il ne m’offrait pas, et j’entamai la conversation par ce mot : Citoyen… Cette appellation lui fit froncer le sourcil, puis, m’interrompant et allant droit au fait, l’entretien