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— Le général Donadieu sert dans cette armée.

— D’où sais-tu cela ? — répond le jésuite, qui, absorbé dans ses lugubres pensées, n’avait pas remarqué le nom du général prononcé par les soldats. — Et puis, d’ailleurs, que nous importe la présence de ce général ?

— Doux parrain, — reprit d’une voix de plus en plus basse le jeune Rodin après un moment de réflexion et semblant frappé d’une idée subite, — si vous m’en croyez, vous n’irez pas encore aujourd’hui chez les saints anges du Seigneur.

— Que veux-tu dire ?

L’enfant se penche, et pendant quelques instants il parle à l’oreille du jésuite. Celui-ci tressaille, il semble prêter une attention croissante aux paroles de son fillot, et ne pouvant cacher sa surprise, son espoir et surtout son admiration pour l’incroyable esprit de ressources dont témoigne le jeune Rodin, il laisse échapper tout bas et d’une voix haletante ces mots entrecoupés : — C’est juste ! quelle mémoire !! Rien de plus précis !! Les faits sont écrasants !! Oui… Oui… En effet, sinon il est perdu… Prodigieux enfant ! prodigieux !…

— Et maintenant, doux parrain, vite à l’œuvre, — murmura le fillot. — Vous le voyez, le Seigneur Dieu daigne éclairer l’esprit de son indigne petit serviteur.

— Non, — reprend le révérend ne pouvant calmer son enthousiasme, — non ! l’on ne croira jamais qu’à un âge encore si tendre, l’on puisse faire preuve de tant de…

— À l’œuvre, doux parrain, point de louanges inutiles… le jour ne peut tarder à paraître… Ne compromettez donc point votre seule chance de salut par des vanités… Donc, vite à l’œuvre.

Le jésuite reconnaît la sagesse des avis de son fillot, et, avisant le cavalier de maréchaussée qui se rapprochait alors de lui : — Hé, factionnaire !…

— Qu’est-ce ?

— Il est bien décidé que l’on me fusille au point du jour ?…

— En deux temps, quatre mouvements, mon vieux…

— Tu es sûr de cela ?

— Le capitaine a commandé à un peloton de huit de nos hommes de se tenir prêts ce matin dès qu’on battra la diane, et d’avoir leurs armes chargées.

— En ce cas, ma foi, tant pis… je n’hésite plus.

— À quoi ?

— À faire des révélations…