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MARTIN. — Aucun jusqu’à présent ; aussi, chose honteuse ! ce pourri pèse d’un poids énorme dans les événements ; il peut, en se portant du côté de Sieyès et de Ducos, leur donner la majorité dans le Directoire, et ainsi faciliter le coup d’État : en d’autres termes, la dissolution du conseil des Cinq-Cents, dernier espoir de la république ; ou bien, en se joignant à Moulins et à Gohier, qui marchent avec nous, Barras peut leur donner la majorité dans le Directoire, et en ce cas, il dissout le conseil des Anciens, ordonne l’arrestation de Sieyès et de Ducos, met le général Bonaparte en accusation, comme coupable d’avoir abandonné l’armée d’Orient, et ainsi la république est sauvée.

LEBRENN. — Et jusqu’à présent Barras…

MARTIN. —… Est resté neutre, voulant, autant que possible, préjuger des événements, afin de pouvoir se ranger du parti qui lui semblera devoir l’emporter. Nous lui avons fait faire, ce matin même, des propositions par l’un des nôtres, que j’attends d’un moment à l’autre.

LEBRENN. — D’où il suit que si Barras persistait dans sa neutralité, ou donnait, je suppose, sa démission, le général Bonaparte resterait l’arbitre de la situation ?

MARTIN. — Évidemment, grâce au renom de ses victoires, à son ascendant sur l’armée et au fatal aveuglement du peuple, qui le croit sincèrement dévoué à la république. Enfin, ce scélérat de Fouché a fait répandre depuis quelque temps, par ses agents de police, dans la partie couarde de la bourgeoisie, des bruits aussi absurdes qu’effrayants sur les projets des républicains, qui préparent, dit-on, le retour de la terreur de 1793. La bourgeoisie s’est épouvantée ; elle croit maintenant que le sabre du général Bonaparte peut seul la défendre contre la guillotine des terroristes.

LEBRENN. — Ah ! ce Fouché, c’est la perfidie et la scélératesse incarnées.

MARTIN. — Il est l’âme damnée de Bonaparte, à qui nous avons dû, cependant, faire faire aussi des ouvertures par l’un des nôtres.

LEBRENN. — Que dites-vous, mon ami ? des républicains pactiser avec ce chef militaire dont ils ont tant à redouter !

MARTIN. — Rassurez-vous ! nous lui offrons tout ce que nous pouvons lui donner en sauvegardant la république et la liberté ; mais nous restons suffisamment armés contre les velléités despotiques de ce général.

LEBRENN. — Mais jusqu’ici son attitude ?…

MARTIN. —… A été expectante ; il écoute, il observe, il évite de