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la clique de Sieyès est de renverser la constitution de l’an III par un coup d’État, et de la remplacer par un gouvernement d’oligarchie bourgeoise, lequel, à un moment donné, servirait de pont, de transition à une monarchie constitutionnelle analogue à celle de 1792, et ce serait fait de la république ! — Tel est le plan et le but des conjurés ; maintenant, voici notre situation, à nous autres républicains, formant la majorité du conseil des Cinq-Cents : nous comptons sur l’appui de deux membres du Directoire dévoués à la république, Moulins et Gohier ; enfin, le cas échéant d’un conflit, nous avons lieu d’espérer que le général Bernadotte, dont l’influence militaire peut être opposée à celle du général Bonaparte, marcherait avec nous ; le conseil des Cinq-Cents a de plus, pour soutiens, les débris peu nombreux, hélas ! des divers partis républicains, girondins ou montagnards, jacobins ou terroristes, ainsi qu’un assez bon nombre d’anciens membres de la commune, échappés comme vous à l’échafaud après thermidor, et appartenant à la bourgeoisie.

LEBRENN. — Et le peuple, les faubourgs, sont-ils donc toujours plongés dans la même inertie ?

MARTIN. — Toujours ! sauf quelques ouvriers de la brasserie de Santerre et quelques vieux sans-culottes, tels que votre ancien contre-maître Castillon, que vous verrez ce matin sans doute, car je lui ai mandé votre arrivée.

LEBRENN. — Merci, mon ami, de m’avoir ménagé ce plaisir ; je serai très-heureux de revoir ce brave Castillon.

MARTIN. — C’est toujours le laborieux et honnête artisan que vous savez… seulement, crédule et naïf comme un véritable enfant du peuple, il est, ainsi que tant d’autres républicains sincères, grand partisan de Bonaparte.

LEBRENN. — Quoi ! Castillon, si dévoué jadis à la république !…

MARTIN. — Justement, puisqu’il n’est pas de meilleur républicain que le général Bonaparte, selon lui et ses amis, du moins ! Les partisans du général corse ont, il y a peu de jours, publié dans les journaux dont ils disposent un fragment d’une lettre du général Bonaparte ; la chose est si curieuse, qu’elle m’a paru digne d’être conservée. (Prenant dans un tiroir un journal.) — Écoutez le langage du futur dictateur… si l’on n’y met bon ordre. (Il lit.) « Quant à ceux qui me font l’injure de craindre en moi un César ou un Cromwell, ils se trompent grossièrement dans leur outrage. César, Cromwell, mauvais rôles, indignes d’un homme de sens quand ils ne le seraient pas d’un homme de bien. Ah ! ce serait une pensée sacrilège