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LEBRENN. — « Il n’y a que les morts qui ne reviennent pas, » disait Billaud-Varenne. — Il n’avait que trop raison ; ces illustres victimes ne reviendront pas sauver la république !

MARTIN. — Ah ! je l’ai dit cent fois comme vous, c’est depuis thermidor, et surtout maintenant, que l’on comprend le vide irréparable, laissé par la mort de ces grands patriotes, victimes de l’exécrable jalousie des partis. Est-ce que le général Bonaparte, malgré son renom militaire, oserait affronter Vergniaud, Danton ou Robespierre ? À leur voix, le peuple serait debout, en armes, et l’ambitieux dictateur envoyé au tribunal révolutionnaire.

LEBRENN. — Ces regrets, ami, je les partage, mais ils sont tardifs. Quelle est, au vrai, la situation des choses depuis le brusque retour du général Bonaparte à Paris ? Et, à ce sujet, comment le Directoire, connaissant surtout de longue main les trames ourdies en faveur de ce général par ses frères, par cet infâme Fouché et par cet autre moine défroqué non moins scélérat, Talleyrand ; comment, dis-je, le Directoire a-t-il été assez faible ou assez coupable pour ne pas renvoyer devant un conseil de guerre le général Bonaparte, coupable d’avoir déserté son armée en Égypte, et de a laisser à deux mille lieues de la France, dans la situation la plus critique ? Dites, mon ami, aux grands jours de la Convention, un pareil acte serait-il resté impuni ?

MARTIN. — Non, certes, sinon le représentant du peuple en mission auprès de ce général l’eût fait aussitôt arrêter par ses propres soldats. Mais la faiblesse du Directoire et notre indécision, à nous autres républicains des Cinq-Cents, tiennent à plusieurs causes ; vous allez les connaître : Vous le savez, et je vous l’ai écrit, Sieyès est l’âme de la conspiration contre la constitution de l’an III, tandis que nous, républicains, nous défendons cette constitution, si détestable qu’elle soit, et je vous dirai tout à l’heure le motif de notre conduite ; donc Sieyès, membre du Directoire, Roger Ducos, son collègue et complice, sont à la tête des conjurés contre la constitution actuelle ; parmi les conjurés se trouvent la majorité du conseil des Anciens et quelques membres du conseil des Cinq-Cents ; puis viennent une foule d’intrigants de toute sorte : des agioteurs, des gens tarés, des fournisseurs enrichis, des bourgeois trembleurs, des corrompus et des repus, des terroristes repentants, comme ce misérable Fouché et votre honorable beau-père, l’avocat Desmarais, membre du conseil des Anciens.

LEBRENN. — Ce malheureux homme mérite encore plus de pitié que de mépris.

MARTIN. — Du mépris, oui ; de la pitié, jamais ! Ainsi, le but de