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la terrible responsabilité qui allait peser sur lui, anxiétés dont l’expression noble et touchante n’avait pu ébranler la volonté de Saint-Just. En vain le jeune général témoignait sa défiance de soi à la pensée d’accepter le commandement en chef, le représentant du peuple lui répondait d’une voix inflexible au nom de la république : — Il faut obéir. — Hoche obéissait.

Ah ! de nos jours, c’est une terrible, mais admirable mission, que celle de représentant du peuple auprès des armées ! Jusqu’à présent, les périls incessants dont les armées permanentes menacent toujours la liberté ont été conjurés, grâce à ces missions de représentants du peuple, contre-poids indispensable opposé à l’autorité absolue des chefs militaires sur leurs troupes, qui peuvent, dans l’aveuglement de la discipline et de l’obéissance passive, devenir le tyrannique instrument d’un général ambitieux, d’un Monk ou d’un Cromwell. La mission de représentant du peuple auprès des armées, répétons-le, fils de Joël, est l’une des fonctions les plus importantes, les plus tutélaires, les plus augustes de notre temps ; mais en raison même de son élévation, combien de qualités, d’aptitudes diverses elle exige de celui qui doit l’accomplir ! La moindre de ces qualités est un calme intrépide au feu, non le calme actif (si cela se peut dire) du général en chef qui, d’un regard avide, embrasse toutes les péripéties du combat qu’il engage et qui peut le couvrir de gloire, lui mériter la couronne civique… Non, le représentant du peuple doit montrer le sang-froid passif du juge siégeant à son tribunal suprême, et cela au milieu de la tourmente de la bataille, lorsque les balles sifflent, lorsque le canon tonne. Ce n’est pas tout ; à ce calme dans le danger, à ce dédain de la vie, le représentant du peuple doit joindre une bravoure entraînante. Il faut qu’au besoin, et dans un moment critique, décisif, voyant une colonne repoussée, décimée par un feu foudroyant s’ébranler, hésiter à retourner à l’attaque, il faut que le représentant du peuple paye alors de sa personne, noble exemple si souvent donné par Saint-Just, par Lebas, par Robespierre jeune et par tant d’autres, durant nos guerres révolutionnaires… Il faut qu’il mette pied à terre, et que, s’élançant au premier rang des soldats, il les électrise, les enlève, les devance, et, son drapeau à la pointe de son épée, les ramène à la charge au cri de vive la république ! … Mais qu’est-ce encore que le courage allié au sang-froid, auprès du tact merveilleux, de la profonde connaissance des hommes, dont il faut être doué pour ne jamais empiéter sur les attributions du commandant d’armée ? pour lui laisser la plus entière liberté d’action en