Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/176

Cette page n’a pas encore été corrigée

les guides lui manquaient, la commune était anéantie ; son sang avait coulé à torrents dans les journées de thermidor. Le club des Jacobins était fermé, ses membres guillotinés, prisonniers ou traqués comme des bêtes féroces par la jeunesse dorée des riches quartiers de Paris ; enfin, la misère devint si intolérable, que le 1er germinal an III (21 mars 1795), les faubourgs s’agitèrent profondément, et déléguèrent à la Convention une députation. Son orateur, un ouvrier, le citoyen Cochery, s’exprima ainsi à la barre de l’Assemblée :

« Citoyens, depuis le 9 thermidor, nos besoins vont croissant. Le 9 thermidor devait sauver le peuple, et le peuple est victime de toutes les manœuvres. On nous avait promis que la suppression du maximum ramènerait l’abondance, et la disette est au comble. Les incarcérations continuent. Le peuple, enfin, veut être libre ; il sait que quand il est opprimé, l’insurrection est un de ses devoirs, suivant un des articles de la déclaration des Droits de l’homme. Pourquoi Paris est-il sans municipalité ? Pourquoi les sociétés populaires sont-elles fermées ? Où sont nos moissons ? Pourquoi les assignats sont-ils tous les jours plus avilis ? Pourquoi les fanatiques et la jeunesse du Palais-Royal peuvent-ils seuls s’assembler ? Nous demandons (si la justice n’est pas un vain mot) la punition ou la mise en liberté des patriotes détenus ; nous demandons qu’on emploie tous les moyens de subvenir à l’affreuse misère du peuple, de lui rendre ses droits, de mettre promptement en activité la constitution démocratique de 1793. Nous sommes debout pour soutenir la république et la liberté ! »

La majorité contre-révolutionnaire de la Convention répondit avec une froideur hautaine à ce mâle et sévère langage ; quelques républicains sincères, tels que Billaud-Varenne, Thuriot, Moïse Bayle, etc., etc., en infime minorité, se montrèrent seuls sympathiques à l’orateur du peuple, mais leurs voix furent impuissantes, et la députation fut éconduite presque avec dédain ; le peuple s’irrite, la fermentation redouble, et le 12 germinal an III (1er avril 1795), les faubourgs Antoine, Marceau, les quartiers de la Cité, du Marais descendent en masse. Hommes, femmes, enfants entourent la Convention en demandant à grands cris la constitution de 1793 et du pain ! La Convention tente d’apaiser par de vagues et insidieuses promesses l’effervescence populaire ; mais le lendemain, 13 germinal, la salle des séances est de nouveau entourée, menacée puis enfin envahie par la population exaspérée. Pour la première fois depuis la révolution de 1789, cette grave atteinte fut portée à l’inviolabilité de