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Aujourd’hui 20 septembre (1830), anniversaire immortel de la proclamation de la république de 1792, moi, Jean Lebrenn, parvenu à la soixantième année de mon âge, et depuis longtemps de retour à Paris, où je suis établi rue Saint-Denis, avec ma bien-aimée femme et ma famille, j’ajoute les pages suivantes à la légende du Sabre d’honneur.

J’avais, pendant ma retraite en Bretagne, après les journées de thermidor (1794), tenu presque quotidiennement note des faits historiques les plus importants, à l’aide des journaux de l’époque et d’une correspondance très-suivie avec Billaud-Varenne et le célèbre peintre de batailles Martin, mon ancien capitaine au bataillon des volontaires parisiens ; le hasard nous ayant rapprochés lorsqu’il quitta l’épée pour reprendre ses pinceaux, nous sommes restés intimement liés, nous n’avons jamais cessé de nous voir ou de nous écrire. Ces correspondances, mes notes, et la part que moi, et plus tard mon fils Marius Lebrenn et mes anciens camarades de l’armée de Rhin et Moselle, Martin, Olivier, Castillon, Duchemin et Duresnel, nous avons prise aux événements du 18 brumaire, des cent-jours et de la révolution de 1930 (accomplie depuis deux mois) me permettent de reproduire fidèlement et brièvement les faits capitaux de ces trois époques : — 1800, — 1815, — 1830, — sous la forme dramatique de jeux-parties, ainsi que disait notre aïeul Mylio le Trouvère, à propos de sa légende de la croisade contre les Albigeois.

Si j’avais quitté ce monde-ci, pour aller renaître ailleurs avant d’achever la tâche que je vais entreprendre, mon digne et cher fils Marius Lebrenn, aujourd’hui âgé de trente-six ans, m’eût suppléé dans ce travail, à l’aide des notes, des matériaux laissés par moi et de ses souvenirs personnels. Je retardais d’année en année cette continuation de notre légende domestique, attendant, pour ainsi dire, l’entier accomplissement de deux prophéties qui vont planer sur ces récits : l’une ne s’est que trop réalisée, de 1800 à 1814 ; l’autre a failli se réaliser complètement au mois de juillet de cette année 1830 ; et moi ou mon fils nous la verrons certainement s’accomplir. Ces deux prophéties, vous ne les avez pas oubliées, fils de Joël ; rappelez-vous ce passage du discours prononcé à la Convention, le 8 thermidor, par Robespierre :

«… Laissez un moment flotter les rênes de la révolution, et vous verrez le DESPOTISME MILITAIRE S’EN EMPARER, LA REPRÉSENTATION NATIONALE AVILIE, et un siècle de guerres civiles désoler notre patrie ! Nous périrons pour n’avoir pas su saisir un moment,