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— Me voilà, camarade, — répond à haute voix Victoria ; puis elle ajoute d’une voix émue en tendant la main à Jean Lebrenn : — Adieu, frère… on m’appelle, à demain… Peut-être l’ordre de la bataille ou les hasards du combat nous rapprocheront l’un de l’autre.

— Je l’espère et le crains à la fois, ma sœur, — dit Jean Lebrenn, les yeux humides de larmes, songeant que peut-être pour la dernière fois il voyait Victoria. — Adieu, tu t’es montrée une fois de plus vaillante, dévouée, généreuse dans ta conduite envers Olivier… Adieu à demain… Nous nous retrouverons avec un double bonheur après la sanglante journée qui se prépare.

— Adieu, adieu, frère, — dit Victoria s’empressant d’aller prendre la dépêche dont elle était chargée, tandis que Jean Lebrenn retournait au bivac du bataillon de volontaires parisiens.

Le général Hoche, de retour dans la chambre qu’il occupait, écrivit le soir même les quelques lignes suivantes au citoyen BOUCHOTTE, ministre de la guerre, dépêche que Victoria porta bientôt à Sultz, d’où un courrier serait expédié à Paris.

« Ingelsheim, 6 nivose an II, une heure du matin.

» Je m’empresse de t’instruire, citoyen ministre, que les représentants du peuple viennent de me donner le commandement des deux armées de Rhin et Moselle pour marcher au secours de Landau.

» Aucune prière, supplique ou instance de ma part n’a pu faire changer de résolution les représentants du peuple. Juge-moi… N’ayant que du courage, pourrai-je résister à un si grand poids ?… Non, assurément !… Je ferai pourtant mon possible pour bien servir la république ! je crains seulement de succomber à la peine.

» Le génie de la liberté veille, je crois, sur moi… lui seul me seconde… Je dois t’avouer aussi que je crains sans cesse de voir couper le fil de mes idées… Aussi dois-je tout faire par moi-même et ferai pour le mieux.

» Salut et fraternité.
» HOCHE [1]. »
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La lettre de Hoche, où se révèle la modestie qui égalait le génie militaire de ce grand capitaine, révèle aussi ses anxiétés au sujet de

  1. Département de la guerre, section III, 1793 à 1794. — Correspondance.