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toi, vieux soldat ? — reprit Jean Lebrenn. Tu n’es pas blessé de voir un bourgeois prendre le pas sur ton général ?

— Moi blessé… humilié ?… Nom d’un nom, je suis trop bon patriote pour être si bête… Il y a, vois-tu, camarade, un quelqu’un d’aussi supérieur en grade aux généraux en chef… que le plus fameux général en chef est lui-même supérieur en grade au dernier conscrit.

— Et ce quelqu’un-là, camarade… c’est…

— C’est LA RÉPUBLIQUE ! — répondit simplement le canonnier ; — or, un représentant du peuple auprès des armées… est-ce que ce n’est pas la république en chair, en os, en habit bleu et en écharpe tricolore !

— Ah ! voilà parler en citoyen et en soldat ! — dit vivement Jean Lebrenn, frappé de l’excellent bon sens de la réponse du canonnier. — Oui, c’est la république… c’est le peuple souverain, qui, par la mission de ses représentants, veille, inflexible, mais équitable, sur les généraux à qui la patrie a confié ses enfants.

— Généraux qui, trop souvent, par lâcheté ou impéritie, font battre et décimer leurs armées, et sacrifient le sang le plus pur de la France ! — reprit Victoria ; — généraux qui trafiquent parfois honteusement avec les fournisseurs, laissant le soldat sans pain et sans souliers… généraux qui, par trahison, vendent leur armée à l’étranger, comme le voulait faire l’infâme Dumouriez, ou voient en elle l’instrument de leur despotisme militaire, le plus abject de tous les despotismes !

— Mais minute, halte-là ! — répond le canonnier ; — la république a l’œil ouvert, le poignet solide… Elle vous empoigne le jeanfesse, le traître ou le despote en herbe, vous les envoie à la guillotine, et les soldats patriotes crient : Vive la nation !… Allez, camarades, soyons sans crainte… ça va, sacredieu ! et ça ira toujours !… Et là-dessus, bonsoir, citoyens ! je m’en vas faire la toilette à Carmagnole pour la danse de demain. — Et Duchemin s’éloigne en chantonnant ce refrain si populaire :

Dansons la carmagnole,
              Vive le son
                  Du canon, etc., etc.

— Hé ! le planton du troisième hussards ! — crie en ce moment, du seuil de la porte du vestibule, un sous-officier tenant à la main un pli cacheté ; — à cheval, à cheval ! c’est une dépêche à porter à Sultz.