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pauvre Jean à l’abri de tout péril, — répond madame Desmarais, — et voilà que je tremble de nouveau.

— Doux parrain, — disait tout bas Rodin au jésuite, — Jean Lebrenn vient de paraître au bout de la rue d’Anjou ; j’ai bon œil, et de loin, j’ai reconnu notre homme ; il n’y a pas déjà si longtemps que ce scélérat nous à arrêtés, la veille de la bataille de Wissembourg.

— Diable ! — se dit le jésuite, — il arrive plus tôt que je ne le pensais ; je payerai d’audace. — Et s’adressant toujours à voix basse à son fillot : — Et les agents ?

— Ils sont en surveillance autour de la maison ; j’ai couru prévenir leur chef de la venue de Jean Lebrenn. Lorsqu’il sera entré ici, il sera pris comme dans une ratière.

— Veille, furette partout pendant que l’on va fouiller cette maison. J’ai tout lieu de croire que le coffret, quoi qu’on m’ait dit, est caché céans.

— Soyez tranquille, doux parrain, cette fois nous mettrons les mains sur ces papiers ! Ce ne sera pas comme le soir de la prise de la Bastille, où ils nous ont échappé par la faute de cette brute de Lehiron.

— Pardon, citoyennes, — reprend le jésuite, s’adressant à Charlotte et à sa mère, — ce cher enfant est mon fillot ; je l’avais envoyé en quête de nouvelles, et il m’en rapporte.

— Ma mère, disait alors tout bas la jeune femme, — mon anxiété redouble ; il se passe ici quelque trahison ; l’entretien secret de cet homme avec cet enfant m’inquiète et… — Puis soudain s’élançant vers la porte du salon qui vient de s’ouvrir, Charlotte s’écrie : — C’est lui !

La jeune femme s’est jetée dans les bras de Jean Lebrenn. Il est très-pâle, ses habits sont en désordre, ses traits baignés de sueur, sa poitrine haletante ; il dit à sa femme, d’une voix entrecoupée, en répondant à son étreinte : — Chère et bien-aimée Charlotte, je n’ai pu résister au besoin de te voir un instant, de te rassurer ainsi que ta mère sur mon sort avant de fuir. La commune est vaincue, je suis hors la loi, mais j’échapperai aux poursuites ! Du courage, noble femme, du courage, et… — Mais ses yeux s’arrêtant alors sur le jésuite et sur le petit Rodin, il reconnaît en eux les espions qu’il a jadis arrêtés aux avant-postes de l’armée républicaine, et se rappelle que Victoria lui a signalé le jésuite Morlet comme un dangereux ennemi de la famille Lebrenn, aussi Jean, frappé de stupeur, dit à sa femme, en lui désignant le révérend : — Que fait ici cet homme ?