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— Heureusement, mon ami Jean Lebrenn a pu s’échapper, — reprend le jésuite ; — grâce à moi, il a trouvé un refuge assuré.

— Ah ! citoyen, ma reconnaissance envers vous sera éternelle, — dit Charlotte, essuyant ses larmes ; — mais je vous en adjure, conduisez-moi près de mon mari.

— Impossible en ce moment, citoyenne ! Quant à la reconnaissance que vous croyez me devoir, n’en parlons pas ; les patriotes s’aident en frères : c’est le premier de leurs devoirs ; mais le temps presse, je suis moi-même en danger, j’ai hâte de vous faire connaître la mission importante dont je suis chargé par mon ami Jean Lebrenn, il est caché ; mais hélas ! mis hors la loi comme ses collègues de la commune, l’on viendra infailliblement le chercher ici. Cette maison sera fouillée, visitée, aussi m’a-t-il expressément chargé de vous prier de me remettre le coffret que vous savez, — ajoute le jésuite, faisant à la jeune femme un signe d’intelligence, — ce coffret qui contient les légendes et les reliques de famille, auxquelles notre ami attache à si juste titre un si grand prix.

— Je suis heureuse d’avoir devancé à ce sujet les vœux de mon mari, — répond Charlotte ; et, attachant un regard pénétrant sur le révérend : — Oui, — reprend-elle, — prévoyant… car il faut tout prévoir… que, dans la lutte contre la Convention, la commune pouvait être vaincue, mon mari décrété d’accusation, cette maison fouillée…

— Eh bien ! — dit vivement le jésuite, ne pouvant, malgré sa profonde astuce, dissimuler son anxiété qui confirme les soupçons de Charlotte, éveillés par la répulsion croissante, presque involontaire, qu’elle ressent à l’égard de cet inconnu ; — ce coffret, qu’en avez-vous fait, citoyenne ?

— Il a été, cette nuit même, porté chez l’un de nos amis ; vous pouvez donc, citoyen, rassurer mon mari à ce sujet. — Et remarquant un léger froncement de sourcils du jésuite, la jeune femme se dit : — Plus de doute ! cet homme est un traître ; mais comment connaît-il l’existence de ces légendes de famille ?

— Madame, — dit Gertrude, entrant avec le petit Rodin, qu’elle tient par la main, — voilà un enfant qui désire parler à monsieur.

Le fillot du jésuite salue révérencieusement Charlotte qui, en ce moment, dit tout bas à sa mère : — Mes angoisses au sujet de Jean se réveillent malgré les assurances de cet homme ; j’ai le pressentiment qu’il nous trompe ; je suis presque certaine que mon mari ne l’a pas envoyé ici.

— Mon Dieu ! et moi qui déjà me réjouissais de savoir notre