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s’accomplisse ; que le génie de la liberté me seconde et veille sur moi [1].

Hoche rejoignit les autres généraux, tandis que Lebas, Randon, Lacoste et leur collègue Saint-Just, salués de l’épée par le capitaine commandant le poste d’honneur du quartier général, se retiraient au bruit des tambours battant aux champs et précédés de sous-officiers porteurs de lanternes ; parmi eux se trouvait Olivier. Ses traits, éclairés par son luminaire, révélaient une humiliation courroucée difficilement contenue. Leur expression n’échappa point à Victoria, restée dans l’ombre et à l’écart, ainsi que Jean Lebrenn et le canonnier Duchemin.

— Mon frère, remarques-tu la physionomie d’Olivier ? — dit tout bas Victoria. — Vois comme son orgueil militaire semble révolté d’accomplir ce qu’il regarde comme un acte de servilisme envers des représentants du peuple… Cet acte, il l’accomplirait comme un devoir envers le dernier sous-lieutenant de l’armée.

— Ainsi que toi, ma sœur, l’expression des traits d’Olivier m’a frappé… elle est significative, — répond à voix basse Jean Lebrenn ; — mais heureusement l’armée pense autrement que lui au sujet des représentants du peuple… elle les entoure de respect et de confiance.

— Dites donc, camarades, — reprit Duchemin qui, n’ayant pas entendu la réflexion relative à Olivier, lui donnait ainsi un nouveau poids ; — je suis vieux soldat, j’ai l’habitude de la discipline… Elle est plus raisonnée dans l’artillerie que dans les autres corps… Je sais ce que je dois à mes chefs, et, bons enfants ou durs à cuire, leur aspect m’impose toujours… Mais, sacredieu !… et vous pensez peut-être comme moi… la vue d’un représentant du peuple auprès des armées me cause un fier effet… Ainsi, là, tout à l’heure, en voyant passer le citoyen Saint-Just et ses collègues, je me disais : Ce sont des civils, ils n’ont pas même sur les troupes autant d’autorité que j’en ai, moi, maréchal des logis chef, sur les servants de Carmagnole… (Carmagnole est le petit nom de ma pièce de quatre) : enfin, ils ne sont pas fichus pour remplacer le premier caporal venu dans le commandement de son escouade, tout représentants du peuple qu’ils sont ! eh bien, pourtant, je sens qu’ils sont au-dessus des colonels, au-dessus des généraux de division, au-dessus des généraux en chef, au-dessus de tout le tremblement de l’état-major… quoi !

— Et cette prééminence du civil sur le militaire ne t’humilie pas,

  1. Paroles textuelles de Hoche, ainsi qu’on le verra plus bas dans l’une de ses dépêches.