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partis, afin de se détruire les uns les autres, se sont tour à tour accusés de royalisme ; le peuple, abusé par la calomnie, a pris l’habitude de croire à la trahison de ses amis les plus fidèles, les révolutionnaires les plus convaincus, et aujourd’hui peut-être il abandonnera Robespierre, Saint-Just, Couthon, Lebas, ces patriotes irréprochables, derniers défenseurs de la république…

— Bonté divine ! mais alors ton mari est perdu ! — s’écrie madame Desmarais, qui s’était peu à peu rapprochée de sa fille et de Castillon. — Ah ! malheur à nous ! malheur à nous !

— Non, non, chère mère, rassure-toi, rien n’est désespéré parce quelques pauvres gens égarés ont ajouté foi aux mensonges répandus contre Robespierre ; la majorité des sections marche avec la commune ; Jean, dans sa lettre, ne nous annonce-t-il pas que les faubourgs Antoine et Marceau sont sous les armes ?

— La citoyenne a raison, — reprend Castillon, — ces mêmes patriotes qui me parlaient du royalisme de Robespierre, ont été ébranlés lorsque je leur ai dit : « Camarades, comment vous donnez dans ce panneau-là ? Maximilien royaliste ? lui qui a tant poussé à la condamnation de Capet et à la guerre contre les rois ! »

— Il est impossible que ces calomnies insensées ne tombent pas d’elles-mêmes, — ajoute Charlotte, s’efforçant de dissimuler ses inquiétudes et de rassurer madame Desmarais. — Puis, s’adressant à Castillon : — Prenez, je vous prie, ce coffret, et suivez-moi. Je reviens dans un moment, chère mère ; ne t’alarme pas, tout ira bien.

— Oh ! mes pressentiments ! — murmure madame Desmarais après la sortie de sa fille et de Castillon. — Non, mes pressentiments ne me trompent pas ! cette journée nous sera fatale !

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Il est dix heures du soir ; le conseil général de la commune est depuis cinq heures et demie de relevée (9 thermidor) assemblé dans la grande salle de l’Hôtel de Ville, salle dite de l’Égalité ; les fenêtres ouvertes donnent sur la place, encombrée de peuple ; le fer des baïonnettes et des piques brille à la lueur de torches nombreuses ; plusieurs pièces d’artillerie ont été amenées par les sectionnaires, et de temps à autre on entend les cris de : — Vive la république ! Vive la commune ! — Des flambeaux éclairent la vaste salle et la table, autour de laquelle siègent, sous la présidence du maire de Paris, Fleuriot-Lescot, les membres du conseil général de la commune, dont les noms suivent. Ah ! fils de Joël, n’oubliez pas les noms des