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— De grâce, mon père, racontez-nous ce qui vous est arrivé, — reprend Charlotte, afin de détourner ce pénible entretien sur le passé. — Vous disiez que lorsque vous avez appris que la salle du comité de sûreté générale était envahie par l’insurrection…

— Eh bien, j’ai été lâche, je peux bien vous avouer cela, à toi, ma femme ; à toi, ma fille ; et lorsque Thuriot, qui présidait la Convention, s’est écrié : — « Citoyens, la salle du comité de sûreté générale est envahie, voici l’heure de mourir sur nos sièges ! » il s’est fait un grand tumulte ; une foule de mes collègues ont quitté leurs bancs et se sont rassemblés dans l’hémicycle : alors, profilant de ce désordre, j’ai fui de l’Assemblée, je me suis glissé à travers la foule qui encombrait le jardin des Tuileries, et n’osant pas retourner chez moi, de crainte d’y être arrêté, comme vont l’être, sans doute, les représentants qui ont demandé la mise en accusation de Robespierre, si la commune triomphe, ainsi qu’il paraît, je me suis dit, et béni soit Dieu, mon espoir n’a pas été trompé !… je me suis dit : Ma femme et ma fille auront pitié d’un époux, d’un père dont la tête est mise à prix ! je me suis dirigé en hâte vers votre demeure. Je quittais le boulevard, afin d’entrer dans la rue de Suresne, lorsque cinq ou six sans-culottes qui couraient en criant aux armes ! et avaient sans doute assisté dans les tribunes à la séance de la Convention, m’ont reconnu, et l’un d’eux, me désignant : — « Voilà l’un des brigands de représentants qui vociféraient le plus fort, afin d’étouffer la voix de Robespierre. » — Ils m’ont menacé de leurs sabres ; je me suis cru égorgé sur l’heure…

— Mon père, calmez-vous, — dit Charlotte, voyant l’avocat frissonner d’épouvante à ce souvenir et s’interrompre ; — grâce à Dieu, ici, vous ne courez aucun danger.

— Ah ! tu es la meilleure, la plus céleste des filles, — répond l’avocat d’un ton doucereux ; — et toi aussi, tu es bonne et généreuse, chère femme.

— Ne faudrait-il pas avoir un cœur d’airain pour repousser un malheureux, ne fût-il ni votre père, ni votre époux, fût-il même votre ennemi, lorsqu’il vient vous dire : — « Sauvez-moi, ma vie est menacée ! » — répond madame Desmarais, ne pouvant ainsi s’empêcher de faire allusion à l’indigne conduite de son mari, lorsqu’il avait repoussé, puis dénoncé M. Hubert venant lui demander un refuge. Charlotte, ayant pitié de son père, se hâta d’ajouter :

— Mais comment avez-vous pu échapper à ces gens qui vous menaçaient ?