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le bruit des entretiens particuliers qui cessent peu à peu.

COLLOT-D’HERBOIS. — Citoyens, la séance est ouverte. Citoyen Saint-Just, tu as la parole.

SAINT-JUST, au milieu, d’un profond silence, se dirige vers la tribune, y monte lentement ; puis, après avoir promené sur l’Assemblée ce regard profond et ardent qui semble illuminer son pâle visage, comparable à un masque de marbre antique, il prend ainsi la parole d’une voix grave et sonore [1] :

« — Citoyens, je ne suis d’aucune faction : je les combattrai toutes. Elles ne s’éteindront jamais que par les institutions, qui produisent les garanties, qui poseront la borne de l’autorité, et feront ployer sans retour l’orgueil humain sous le joug des libertés publiques. Le cours des choses a voulu que cette tribune aux harangues fût peut-être la roche Tarpéienne pour celui qui viendrait vous dire que des membres du gouvernement ont quitté la route de la sagesse. (Rumeurs sur le banc de Tallien, de Fréron, de Barère, etc., etc.) J’ai cru que la vérité vous était due, offerte avec prudence, et qu’on ne pouvait rompre avec pudeur l’engagement pris avec sa conscience de tout oser pour le salut de la patrie… Quel langage vais-je vous parler ? Comment vous peindre des erreurs dont vous n’avez aucune idée et comment rendre sensible le mal qu’un mot décrète, qu’un mot corrige ? Vos comités de sûreté générale et de salut public m’avaient chargé de… »

Saint-Just est soudain interrompu par une explosion de murmures, dont le signal a été donné par Fouché, Fréron et Tallien. Celui-ci se lève et, de sa place, s’écrie avec animation : « — Citoyens, je demande la parole pour une motion d’ordre. L’orateur a commencé par dire qu’il n’était d’aucune faction. Je dis la même chose. Je n’appartiens qu’à moi-même et à la liberté. C’est pour cela que je vais faire entendre la vérité. »

Bravos à droite, au centre et sur les bancs de la montagne. Saint-Just, surpris et irrité de cette violente interruption, veut poursuivre son discours ; les murmures, étouffent de nouveau sa voix, Tall en fait signe qu’il veut parler, les murmures cessent, et il ajoute, en désignant Saint-Just d’un air menaçant : — « L’on vient encore aggraver les maux de la patrie, la précipiter dans l’abîme. Je demande que le rideau soit entièrement déchiré. »


  1. Le récit de cette séance du 9 thermidor, ses incidents, les discours prononcés, etc., est (sauf des abréviations insignifiantes) textuellement conformes au Moniteur et aux mémoires du temps.