Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/116

Cette page n’a pas encore été corrigée

brigands qui garnissaient les tribunes ; je me trouvais à côté de l’une de leurs brigandes, car beaucoup de femmes assistaient aussi à cette séance, et elles étaient pires que les hommes pour la forcénerie de leurs cris.

TALLIEN. — Les dévotes de Robespierre !

RODIN. — L’une de ces scélérates, placée sur le devant de la tribune, m’a pris sur ses genoux. Cette vilaine furie m’a dit : « — Viens, mon petit, tu risquerais d’être étouffé dans la foule. » — Alors j’ai vu Robespierre, il était très-pâle, mais ne semblait pas abattu. Un grand silence s’est fait, et il a parlé.

DURAND-MAILLANE. — Et vous rappelez-vous à peu près, mon petit ami, le sens des paroles de Robespierre ?

RODIN. — Le Seigneur Dieu (il se signe) a daigné gratifier d’une bonne mémoire son indigne petit serviteur. Je n’ai pas oublié une seule des paroles de ce monstre.

FOUCHÉ, riant. — Quel petit gredin ! a-t-il l’air faux et futé ; il a un regard de vipère. Eh bien, qu’a-t-il dit, le monstre ?

RODIN. — « Citoyens ! — a repris Robespierre, — le discours que vous venez d’entendre est mon testament de mort… »

TALLIEN, vivement. — Il a dit cela ?

FOUCHÉ, très-intéressé, ainsi que les autres personnages, s’écrie : — Ne l’interromps donc pas, tu vas le troubler.

LE JÉSUITE. — Troubler mon fillot ! Ah ! ah ! vous ne le connaissez point. Quant à la rigoureuse exactitude des paroles qu’il vous rapporte, je vous la garantis ; il possède une mémoire incroyable. (À l’enfant) Continue, et reprends.


RODIN. — « Citoyens ! — a dit Robespierre d’une voix grave, — le discours que vous venez d’entendre est mon testament de mort ; je l’ai vu aujourd’hui à la Convention : la ligue des méchants est tellement puissante que je ne puis espérer de leur échapper. Je succombe sans regret ; je vous laisse ma mémoire : elle vous sera chère, vous la défendrez [1]. »… Voilà, doux parrain, mot pour mot, ce qu’a dit ce monstre de Robespierre.

FOUCHÉ, triomphant. — Il doute de lui-même, l’énergie lui manque : il est perdu !

DURAND-MAILLANE. — Et quel effet ces paroles ont-elles produit sur les jacobins, mon petit ami ?

  1. Avons-nous besoin de dire que ces admirables paroles ont été prononcées par Robespierre, la veille de sa mort, le 8 thermidor 1794, à la séance du soir du club des Jacobins ?