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— Plus je t’écoute, Victoria, plus je m’étonne et m’afflige de l’aberration de ce jeune homme… Comment des idées si différentes de celles qu’il a reçues dans notre famille ont-elles pu ainsi influencer son esprit ?

— Oh ! mon ami, c’est qu’il faut avoir le caractère fermement trempé pour résister aux velléités d’orgueil et d’autorité despotique que donne l’habitude du commandement militaire ! L’on exige de ses inférieurs l’obéissance muette, aveugle, passive que l’on témoigne à ses supérieurs. Les âmes faibles se dégradent, se dépravent dans ces alternatives d’autorité absolue et de sujétion absolue ; tout autre pouvoir que le pouvoir militaire devient insupportable à ces hommes de guerre pour la guerre. Olivier me disait tout à l’heure encore que, général, il ne reconnaîtrait jamais comme égale… encore moins comme supérieure à la sienne, l’autorité d’un représentant du peuple auprès des armées.

— Cette tendance est détestable. Tous les généraux montagnards vraiment patriotes, Hoche, Jourdan, Marceau, Joubert, Pichegru, loin de redouter la surveillance et l’autorité souveraine des représentants du peuple auprès de leurs armées, la sollicitent au contraire. Seuls, les traîtres, les lâches ou les ambitieux peuvent la craindre… Ah ! plus j’y songe, plus je partage ton inquiétude en voyant Olivier qui, en ces temps d’avancement rapide, peut être un jour élevé à un grade important, témoigner des tendances si fâcheuses et heureusement rares dans l’armée… Mais il est tellement jeune encore !… et ton influence sur lui est si puissante que j’espère…

— Détrompe-toi, mon frère, — répond Victoria interrompant Jean Lebrenn, — je suis heureuse et affligée de reconnaître que mon influence, ou pour parler net, que l’amour d’Olivier pour moi… amour jadis si passionné… s’affaiblit de jour en jour.

— Que dis-tu ?

— Son ardeur guerrière, l’enivrement de ses premiers succès, l’activité de la vie des camps, ont, selon mon secret calcul, et de cela je me réjouis, dominé peu à peu la folle passion d’Olivier… Je m’y attendais. Oui, grâce à ma connaissance approfondie de son caractère, je prévoyais ce résultat, alors que je disais à cet enfant : « Deviens un héros… et séduite par ta gloire, je ressentirai pour toi une affection plus vive que celle d’une sœur ! » Oh ! je tenais sans crainte ce langage à Olivier ; l’amour devait être éphémère dans cette âme guerrière, lorsqu’elle serait possédée du démon des batailles. Je voulais avant tout, au nom du souvenir sacré de Maurice et de l’intérêt