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que celle de Fouché. Cette face patibulaire, encadrée de cheveux d’un blond couleur de filasse, révèle le vice, la ruse, la fourberie, la bassesse, la cruauté dans leur complet et hideux épanouissement ; un sourire cynique relève un coin de sa lèvre blafarde. Il se présente le premier dans le salon de l’avocat, et lui désignant du geste le jésuite Morlet : — Citoyen collègue, je te présente un ci-devant calottin, le révérend père Morlet ; il appartenait à la compagnie de Jésus, comme j’appartenais à l’ordre de l’Oratoire.

— Mais, — répond l’avocat très-inquiet, en répondant au salut du jésuite, — l’objet de la conférence qui nous réunit…

—… Ne doit pas être un secret pour le révérend ; il est des nôtres, — répond Fouché ; — il arrive de Londres et nous apporte des renseignements du plus haut intérêt. Quant à sa discrétion, sa tête en répond : il est prêtre réfractaire. Et, sur ce, causons de nos affaires.

Fouché, Durand-Maillane, Tallien, l’abbé Morlet et l’avocat Desmarais s’asseyent autour d’une table ronde.

LE JÉSUITE, tout bas à Fouché. — Il ne faut point oublier mon fillot.

FOUCHÉ. — C’est juste. (À Desmarais.) Veux-tu, citoyen, donner l’ordre que l’on introduise ici un enfant de douze à treize ans lorsqu’il se présentera ?

DESMARAIS, surpris. — Un enfant ?

FOUCHÉ. — Oui, nous te dirons tout à l’heure ce dont il s’agit.

(Desmarais se lève et sort pendant un moment du salon ; Fouché le suit des yeux ; puis, après son départ, s’adressant au jésuite :)

— Je vous donne le collègue Desmarais pour le plus lâche coquin qui ait jamais tremblé pour sa peau ; il est désolé de ce que notre réunion ait lieu chez lui, parce que, le cas échéant, elle peut le compromettre gravement ; or, c’est justement pour cela que j’ai choisi sa demeure, comme lieu de notre rendez-vous Si nous devons aller au vasistas, le collègue ira comme nous (riant), et sa mine piteusement cadavéreuse nous divertira dans la charrette.

LE JÉSUITE, après réflexion. — Ce Desmarais n’a-t-il point une fille mariée à un certain Jean Lebrenn ?

TALLIEN. — Oui, le collègue a voulu donner des gages à la révolution en unissant sa fille à un garçon serrurier, enragé patriote, d’ailleurs.

FOUCHÉ, voyant du salon s’ouvrir et semblant poursuivre un entretien commencé. —… Et le citoyen Desmarais, homme de cœur et de courage… — (S’adressant à l’avocat, qui vient de refermer soigneusement