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Parfait, et sa femme, Morise, tous deux hérétiques, périrent dans les flammes, après un martyre d’une férocité inouïe. Tu as accepté, comte, le nom et l’héritage de tes pères, tu me dois encore le prix du sang de Karvel-le-Parfait et de sa femme Morise.

— Tu deviendras trop riche, Victoria, — répond M. de Plouernel avec un rire amer, — que feras-tu de tout ce sang ?

— Tu oublies, comte, que tu n’as qu’une tête à couper.

— Pardon, c’est juste.

— Eh bien, commences-tu à te persuader, là, en ton âme et conscience, qu’il est bien juste que tu meures ?

— Telle est l’infirmité de mon esprit que, jusqu’à présent, l’équitable nécessité de ma mort ne me paraît point démontrée.

— C’est singulier, comte, je croyais ton intelligence plus prompte. Voyons, écoute encore : peu de temps avant la jacquerie, la grande et immortelle jacquerie, mon aïeul Mazurek-l’Aignelet, serf de ton ancêtre, comte de Plouernel en Bretagne, seigneur de Nointel en Beauvoisis, avait une jeune serve de la seigneurie pour fiancée : elle s’appelait Aveline-qui-jamais-n’a-menti. Elle était belle ; ton aïeul use de son droit du seigneur, la fait amener dans son château et la viole. Mazurek-l’Aignelet avait tenté de s’opposer à l’enlèvement de sa fiancée ; il est arrêté, jugé par la sénéchaussée de Beauvoisis et condamné à faire, à genoux, amende honorable aux pieds de son seigneur, et à lui demander grâce et pardon d’avoir voulu s’opposer au viol de sa fiancée. Ce n’est pas tout : Mazurek, volé par un noble chevalier, commensal de ton ancêtre, avait dénoncé le vol, que niait le larron ; Mazurek dut subir, par ordre de ton ancêtre, l’épreuve du jugement de Dieu, et pour ce, vu sa condition de serf, combattre à pied, vêtu de son sarrau, et armé d’un bâton, contre le chevalier larron, armé de toutes pièces et à cheval. Mazurek, dans ce duel monstrueux, tomba demi-mort ; le jugement de Dieu était contre lui, il fut condamné à la corde, y échappa, grâce à un hasard inouï, vit mourir de honte et de désespoir sa fiancée, Aveline, et il eut plus