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— Finissons-en ?… Ah ! que voilà bien ces gens de cour ! incapables de savourer les charmantes lenteurs de la belle galanterie ; et, plus libertins qu’amoureux, ils sont toujours pressés de brusquer les dénouements. Non, non ! tout beau, cher comte, tout beau. Il vous faudra, s’il vous plaît, ainsi que disait l’aimable Scudéry, « parcourir toutes les sinuosités du fleuve du Tendre avant que d’arriver au port du Parfait contentement, » lequel port est pour vous, ce me semble… la guillotine, mon trop aimé Gaston !

— La méchanceté de cette infernale créature me fait douter si je veille ou si je rêve ! — dit M. de Plouernel, sentant son esprit se troubler ; puis, frissonnant, il ajoute, presque égaré : — Il ne te suffit pas de m’envoyer à l’échafaud. Mais quel mal t’ai-je donc fait ?

— Eh ! mon Dieu ! cher comte, ce bon Louis XVI, votre maître, adressait naïvement cette nuit pareille question à mon frère : — « Quel mal, — disait Capet, — vous a donc fait la royauté ? » Toi, tu me demandes quel mal nous a fait la noblesse, comte ?

— Ah ! je l’ai su trop tard par l’abbé Morlet ; tu appartiens à cette exécrable famille Lebrenn, et tu es digne de ta race !

— J’espère te le prouver ; mais ce n’est pas tout : le sergent Maurice, que tu as fait périr sous les verges, je l’aimais, autant qu’il est possible d’aimer… juge de ma haine pour toi !

— Qu’entends-je ? Ce sergent…

— Était mon fiancé.

— Et c’est pour te venger…

—… Que j’ai pris le nom et le titre de la marquise Aldini ; j’appartenais à la secte des Voyants : ils disposaient d’un trésor considérable, ils m’ont fourni les moyens de tenir le rang que j’avais pris.

— Infâme trahison !

— C’est ainsi qu’à ce souper du 13 juillet 1789, j’ai su par toi, comte, les projets de la cour ; le lendemain ils étaient déjoués par l’insurrection qui éclatait dans Paris ; la Bastille tombait au pouvoir du peuple, ma vengeance commençait. Je t’ai cherché pour l’achever,