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lampe qui l’éclairait, et au milieu des ténèbres une voix essoufflée, suppliante, dit à Victoria :

— Ayez pitié de moi ! je suis émigré, on me poursuit ; j’ai cent louis sur moi ; ils sont à vous si vous me sauvez : vous ne gagnerez donc rien à me livrer !

En même temps que ces paroles sont prononcées, Victoria entend sur le plancher le bruit des pas du fugitif qui vient de s’introduire par la fenêtre, après avoir sans doute rampé le long de la toiture, au niveau de laquelle s’ouvrait la mansarde.

Victoria, aux premiers mots qui lui furent adressés, crut reconnaître la voix qui lui parlait dans les ténèbres ; ses soupçons se changèrent en certitude, lorsque le fugitif ajouta : Je suis émigré.

— Ô Providence ! ô justice vengeresse ! c’est lui !! — se dit la jeune femme, d’abord immobile de stupeur ; puis transportée d’une joie farouche, elle court dans l’ombre à la porte, la ferme à double tour, met la clef dans sa poche, et s’assure en même temps qu’elle a sur elle le petit pistolet à deux coups dont elle s’arme toujours depuis qu’elle sait avoir tout à redouter du jésuite Morlet ou de Lehiron ; ces précautions prises, Victoria cherche à tâtons sur la commode une allumette, l’approche du brasier du poêle, alors que le fugitif, surpris du silence que gardait l’habitante de la mansarde, reprenait, croyant l’argument irrésistible pour la maîtresse d’un si misérable logis :

— Je vous l’ai dit : je suis émigré ; il y a cent louis à gagner si vous me sauvez ; vous n’avez donc aucun intérêt à me livrer.

Victoria, qui approchait d’une chandelle placée sur la commode l’allumette enflammée, répondit à voix basse :

— Fermez vite la fenêtre, de peur que le vent n’éteigne la lumière.

L’émigré s’empresse d’exécuter cet ordre. Victoria allume la chandelle, la lumière se fait dans la mansarde ; et lorsque le comte de Plouernel (c’était lui) se retourne, il reste pétrifié à la vue de la jeune femme : il reconnaît en elle, malgré la pauvreté de ses vêtements,