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la seule amertume qui se mêle à mon bonheur d’aujourd’hui ? C’est de penser qu’en vivant près de nous, en nous voyant si heureux, Charlotte et moi, tu te diras peut-être, hélas ! cette félicité, moi aussi j’aurais pu en jouir, et…

— Moi ! vivre auprès de toi et de ta femme ?

— Tu as pu un instant douter de ma résolution à ce sujet ?

— Mon frère, c’est impossible, songe donc que…

— Victoria, il y a quatre ans, j’ai pu hésiter à révéler à Charlotte le cruel mystère de ta vie ; j’ai pu, comme toi, craindre que, malgré ses adorables qualités de cœur, malgré la noblesse de son caractère, Charlotte n’eût pas alors le jugement assez mûr pour voir en toi, non la complice, mais la victime de l’opprobre de ta première jeunesse. Ah ! merci Dieu ! il n’en est plus ainsi maintenant, sœur bien-aimée, non, non ; la conduite de ma fiancée, depuis quatre ans, m’a prouvé la force de sa volonté, la droiture, la fermeté de son esprit : je suis maintenant sûr d’elle, comme moi de moi-même ; aussi, elle saura tout ce qui te concerne.

— Jean… de grâce…

— Elle saura tout ce qui te concerne, et son vœu le plus cher sera, comme le mien, l’espoir de te voir passer tes jours près de nous.

— Mais, encore une fois…

— À moins, cependant, sœur bien-aimée, que par goût pour l’isolement ou pour l’indépendance, tu préfères vivre loin de nous ; cette raison seule…

—… T’empêcherait de confier à Charlotte mon passé ? — demanda vivement Victoria ; — oh ! en ce cas, je…

— Tu te méprends, ma sœur ; telle est mon estime pour le caractère de Charlotte, que je regarde comme un devoir de lui dire ma tendresse pour toi, et combien tu es digne de cette tendresse, que je veux lui faire partager. Oui, et elle la partagera en connaissant ta vie entière.

— Je t’en conjure, ne lui fais pas cette confidence.