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inattendu. Épouser Charlotte ! mon Dieu ! je l’aime tant ; si tu savais, si tu savais !

— Je sais, cher et bon frère, je n’ignore rien.

— Non, tu ne sais pas tout ! Chaque jour nous parlions de Charlotte, de mes espérances lointaines, bien lointaines, hélas ! mais je te cachais ma faiblesse, ma lâcheté, mes nuits d’insomnie souvent passées dans les larmes, dans le désespoir, en songeant à ces quatre années de bonheur perdues, que rien ne me rendra jamais ; en songeant à ce que Charlotte devait elle-même souffrir, malgré la courageuse résignation dont ses lettres étaient empreintes. Ah ! pauvre sœur, non, tu ne sais pas ce que j’ai souffert !

— Je le sais, frère, et je sais aussi pourquoi tu me cachais l’amertume de tes chagrins.

— Que veux-tu dire ?

— Noble et excellent cœur, tu craignais, en me rendant témoin de ton désespoir, de réveiller le mien.

— Victoria !

— Tu craignais de raviver cette plaie qui saigne et saignera toujours dans mon âme, car, moi aussi, je pleurais, je pleurais sans cesse un amour à jamais perdu. Ah ! frère, si je n’étais retenue dans cette vie-ci par la curiosité vengeresse d’assister jusqu’à la fin à l’extermination de nos ennemis… et l’expiation de leur passé commence seulement… si je n’étais aussi retenue sur cette terre par ma tendre affection pour toi, je serais depuis longtemps allée rejoindre Maurice en ces lieux où il m’attend, et où tous nous irons, selon l’antique foi de nos pères ; mais qu’est-ce que quelques années de plus ou de moins passées sur cette terre ?… à peine des secondes, au regard de l’éternité. Crois-moi donc, frère, j’avais deviné la profondeur de ton chagrin secret et par quelle touchante délicatesse tu me le dissimulais ; aussi ma tendresse pour toi se fût augmentée, si elle avait pu l’être !

— Eh bien, oui, tu m’as deviné, sœur bien-aimée ; oui, je craignais d’empirer ta douleur par le spectacle de la mienne ; et, sais-tu