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— Dame ! citoyens, j’ai peur… d’avoir peur…

Cette réponse provoque une explosion d’hilarité générale. Duresnel ajoute, sans se décontenancer : — Mais oui… paole d’honneur, citoyens ; n’ayant pas vu le feu, et ignorant l’effet qu’il me produira, j’ai peur… d’avoir peur… c’est tout simple.

— Bravo, mon camarade, — reprend le capitaine Martin, — ce ne sont pas toujours les plus crânes qui font d’avance blanc de leur épée, ta modestie est d’un bon augure ; aussi je gagerais que demain tu recevras bravement le baptême du feu au cri de Vive la république !

— Vous êtes bien honnête, capitaine, je ferai de mon mieux ; car il serait, paole d’honneur, joliment désagréable pour moi de reconnaître que je suis un poltron, après être venu en poste de Paris à la frontière pour rejoindre le bataillon.

— Tu es venu en poste ? répond Castillon, — tu étais donc bien pressé ?

— Sans doute, j’ai déjà tant perdu de temps…

— Comment cela, camarade ?

— La dernière réquisition m’avait laissé de côté, parce que j’étais malade ; mais lorsque j’ai été rétabli, je me suis dit : Ah ça, Benjamin (c’est mon petit nom), tu as cinquante mille livres de rente… c’est bon…

— Fichtre ! — répond Castillon, — c’est même très-bon !

— Tu t’es imposé à toi-même le double de ce que t’a demandé l’impôt sur les riches, — ajoute Duresnel ; — tu as porté au Trésor national deux mille sept cent vingt louis provenant de ton héritage, et tu as demandé des assignats en échange de ton or ; c’est bon… mais, Benjamin…

— Ah ça, Benjamin, tu me fais l’effet d’être un fameux patriote, sans en avoir absolument la mine ? — reprend Castillon, surpris et touché, ainsi que les autres volontaires, de la candeur de leur nouveau camarade, — tu es un bon riche, paole d’honneur !

— Si c’est vrai… c’est feu ma bonne vieille mère qui m’a fait