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fait signe qu’il comprend ; et il va s’encourir à sa cave, lorsque le capitaine Martin, afin de prévenir de nouveaux malentendus, retient l’hôtelier, écrit le chiffre 20 au-dessous de l’image de la bouteille, et lui montre cette indication, à laquelle l’aubergiste répond par un ia formidable.

— L’animal ! il ne pouvait pas répondre cela tout de suite ! — dit Castillon haussant les épaules ; et s’adressant au volontaire novice : — Si cet aubergiste avait été moins cruche, il y a une demi-heure que nous aurions pu boire à ta bienvenue au bataillon, citoyen Duresnel !

— C’est vrai, citoyen ; mais nous aurions déjà bu, tandis que nous allons avoir le plaisir de boire, — répond Duresnel d’une petite voix flûtée, faisant, suivant l’adage, « la bouche en cœur » et grasseyant, zézayant en Parisien renforcé. Cet accent efféminé, la physionomie timide, un peu bonasse du volontaire, son embarras, font sourire d’un air moqueur ses camarades ; mais le capitaine Martin, prenant ce novice sous son égide, lui dit cordialement :

— Tu as raison, citoyen, il vaut mieux avoir une bouteille à vider que de l’avoir déjà vidée… Tu nous payes ta bienvenue… je te rendrai ta politesse avant trois jours, dans la meilleure auberge de Laudau, que nous allons débloquer, après avoir battu demain les Autrichiens à Wissembourg… car nous les battrons, mordieu ! comme nous les avons chassés hier de Sultz, la baïonnette dans les reins.

— Hé ! hé ! tu arrives à temps, camarade, — reprend un volontaire en ricanant, — l’on se cogne demain matin, et si tu n’as jamais vu le feu, tu le verras.

— Je le crois bien, puisque je suis venu pour cela, — répond Duresnel de sa voix timide et flûtée ; — seulement… et vous allez joliment rire de moi, citoyens, je vous l’avoue, n’ayant jamais vu le feu, j’ai une peur…

— Laquelle, laquelle ? — répètent en chœur les volontaires, s’amusant fort de la naïveté du jeune Parisien, — quelle crainte as-tu ?