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avec un charme extrême dans le passage suivant d’une lettre du citoyen Geslin, l’un des premiers volontaires de la république, et qui, l’an passé, a pris part à la bataille de l’Argonne avant l’infâme trahison de Dumouriez :

« Aujourd’hui, mon ami, notre bataillon s’est couvert de gloire : Bodinier, Boze, Legendre, Pêchu, Ricou, Girard, Bareilher, Dalivon… mais bah ! il faudrait te nommer tous nos camarades. Ils ont lutté comme des démons pour empêcher les effets de la déroute… Mais le héros de la journée, c’est Besnard, Besnard le grêlé, le couturé, le dur à cuire, Besnard de la porte Chappellier, le fils du riche marchand d’eau-de-vie, en face l’auberge du Griffon ; notre Besnard enfin, qui ne baille pas dans un salon, mais qui, sur le champ de bataille, s’est battu comme un lion. Juges-en : L’armée, en abandonnant la position du Grand-Pré, l’un des passages de la forêt de l’Argonne, battit en retraite. Notre bataillon fut le dernier de l’arrière-garde, poste d’honneur, puisque nous étions en retraite. Nous allions à petits pas, silencieux, serrés, en bon ordre. Nous arrivons à Warge-Moulin, pont jeté sur un cours d’eau. Nous avions ordre de défendre ce pont : ce fut là que, par milliers, affluèrent des traîneurs, des fuyards ; mais le brave Besnard, capitaine de notre compagnie de grenadiers, leur criait : Lâches… on ne passe pas ici… Il leur fallait donc ou se jeter à la nage pour fuir, ou retourner au combat, et, ma foi, beaucoup y retournaient. Arrive un général avec ses guides, ses aides de camp ; tout ce monde au grand trot veut passer le pont, le général en tête… mais Besnard s’écrie : — On ne passe pas.

» — Comment, moi… général, je ne passerai pas ?

» — Un général qui fuit ?… Vous déshonorez vos épaulettes ! vous ne passerez pas !…

» — Oh ! je me ferai obéir, — réplique le général, — et, tirant son sabre, il menace Besnard.

» — Grenadiers ! — crie notre capitaine, — ce sont des j… f…