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l’ami Jean sans décesser de travailler, laissons de côté pendant une heure les marteaux et les limes, dont le tintamarre couvrirait la voix de notre camarade, et occupons-nous seulement de fourbir ou d’ajuster nos pièces, cela peut se pratiquer presque sans bruit ; or, ainsi nous ne feignantiserons pas, et nous pourrons écouter l’ami Jean tout à notre aise.

— Adoptée la motion ! — s’écrient les artisans… Et après quelques instants de tumulte causé par le changement d’occupations auxquelles ils allaient se livrer, le silence se fait. Jean Lebrenn se place à l’établi où il se tient habituellement, dépose quelques papiers devant lui ; puis, s’adressant à ses compagnons :

— Frères !… nous sommes à la veille d’une grande journée… aussi grande, aussi décisive que celles du 14 juillet et du 10 août. Cette journée sauvera, je l’espère, et pour toujours, la révolution, la république, la France, plus dangereusement, plus menacée que jamais ; et de plus, c’est aussi mon ferme espoir, pas une goutte de sang ne sera versée dans cette journée. La loi, la représentation nationale, seront respectées, le peuple saura s’élever à la hauteur de sa mission et vaincra cette fois ses adversaires, non par la force des armes, mais uniquement par la force de son influence morale… Mon langage vous étonne, mes amis, vous hommes d’action par excellence ?

— Ma foi oui, l’ami Jean… Mais, après tout, si l’on peut vaincre sans se cogner, c’est autant de gagné.

— C’est vrai, et la victoire n’en sera que plus pure… Mais pour bien comprendre la portée des événements qui se préparent, deux mots sur le passé : vous le savez, mes amis, et ç’a été un des plus grands malheurs du temps, la Convention choisie par le peuple pour proclamer la république, formuler sa constitution et juger Louis Capet, a été, dès le début de son existence, divisée par les rivalités des partis entre eux… Les chefs de ces partis, montagnards, modérés ou girondins, sont tous plus ou moins coupables de la même faute,