le rappel… il règne une grande agitation dans les rues que je viens de traverser en rentrant ici… De grâce, mon cher Jean, dites-le moi ? est-ce que l’on doit craindre encore une journée ?
— Rassurez-vous, chère belle-mère, — répond Lebrenn, — il y aura probablement demain une journée, ainsi que vous le dites ; mais elle sera aussi paisible qu’imposante et assurera, je l’espère, le salut de la république.
— Dieu vous entende, mon cher Jean ! je sais quelle foi l’on doit avoir en vos paroles… cependant je ne peux m’empêcher de trembler en songeant que vous êtes mêlé à ces luttes ardentes, et que vous, si bon, si courageux patriote, comme on dit en ce temps-ci, vous si désintéressé, vous qui ne demandez qu’à votre travail votre modeste bien-être et celui de votre femme… vous avez été, vous êtes constamment en butte aux attaques de ces forcenés, si justement nommés les enragés.
— Ils sont encore plus fous que méchants, chère belle-mère, il faut les laisser dire…
— Bonne mère, est-ce que mon mari n’est pas au-dessus de pareilles attaques ?
— Il n’importe… elles m’épouvantent, mes pauvres enfants, — répond en soupirant la femme de l’avocat. — Ah ! mon cher Jean, je n’oublierai jamais avec quelle générosité vous avez dédaigné les dénonciations de mon mari, qui, voulant expliquer à son avantage les motifs qui nous ont obligés à nous séparer de lui…
—… m’accusait, dans le Père Duchesne, l’ignoble journal d’Hébert, digne organe des enragés ; m’accusait d’avoir aspiré à la main de ma femme par cupidité, — répond Jean Lebrenn en haussant les épaules. — Oui, selon cet honnête journal, inspiré par le citoyen Desmarais, j’aurais, le jour de mon mariage avec Charlotte, exigé de lui, et pour ainsi dire le pistolet sur la gorge, cent mille livres de dot !! … D’où il suit que, révolté de mon ignoble cupidité, le citoyen Desmarais m’avait chassé de chez lui, ne pouvant plus douter, d’après