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il était habilement ourdi, ce complot… On me hait, ici, on veut se débarrasser de moi… afin de jouir plus tôt de mon héritage… et pour ce… l’on imagine benoîtement… quoi ?… de me faire couper le cou…

Cette accusation inattendue, encore plus absurde, plus insensée qu’elle n’était horrible, jeta madame Desmarais, sa fille et Jean Lebrenn dans une telle stupeur, qu’ils s’entre-regardèrent sans trouver d’abord une parole à répondre à l’avocat. Celui-ci poursuit, en proie à l’égarement de l’épouvante :

— Oui, oui… l’on veut m’envoyer à la guillotine, afin de se débarrasser de moi et de palper mon héritage, que l’on suppose considérable… Mais qui se chargera de m’envoyer tout doucettement à l’échafaud ? Hé ! parbleu ! le citoyen mon gendre… en me conseillant d’un air confit de donner ma démission de représentant du peuple… acte qui doit tôt ou tard, et plus tôt que plus tard, me conduire à la mort… ensuite de quoi, ma femme, ma fille et mon gendre, honnête trinité, se partageront mes dépouilles… Mais comme, après tout, je ne suis point absolument un imbécile, et que je puis flairer l’ingénieux traquenard où l’on veut me pousser, afin que j’y laisse ma tête… on imagine ceci, et c’est fort habile assurément : « Si vous refusez de renoncer à la vie politique, — ajoute mon onctueux gendre, — je me sépare de vous, je ne vous abrite plus par ma présence… En autres termes, je vous dénonce sur l’heure à mon ami Marat, qui a déjà l’œil sur vous… l’on vous décrète d’accusation… l’on vous guillotine… et nous emboursons votre héritage. »

— Ah ! cette seule supposition est atroce et infâme ! — s’écrie d’abord Jean Lebrenn, révolté des paroles de l’avocat, puis, engageant d’un geste Charlotte et sa mère à garder le silence, il reprend : — Mais non, vous ne pouvez nous inspirer qu’un sentiment de triste compassion, citoyen Desmarais ! La peur… vous a rendu fou !

— Pas si fou !… pas si fou !… car je saurai défendre contre vous tous mon cou et mes biens… quand, pour cela, je devrais vous