Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/117

Cette page n’a pas encore été corrigée

conséquences ; mais les quelques paroles de Jean Lebrenn lui dévoilaient soudain les conséquences possibles et non moins redoutables de ce vote que lui arrachait la peur : car si la coalition triomphait, tout conventionnel régicide serait supplicié sans merci ni miséricorde par les rois vainqueurs. L’avocat, dénué de foi patriotique, et incapable de croire aux miracles de cette foi, pouvait à peine supposer la république victorieuse de ses ennemis innombrables ; il craignait donc de se voir accusé de trahison par les montagnards, s’il ne votait pas la mort de Louis Capet ; et, s’il la votait, il se voyait, plus tard, comme régicide, en butte aux vengeances impitoyables des rois coalisés. Disons en parenthèse que, par une providence vengeresse, l’avocat, justement victime de sa conscience bourrelée, s’effrayait de fantômes. Plusieurs conventionnels, révolutionnaires éminents, tels que Condorcet, Thomas Payne, Claude Fauchet, opposés par principe à la peine de mort, ont voté contre l’exécution de Louis XVI, dont ils reconnaissaient d’ailleurs les crimes ; des membres du centre et de la droite de la Convention, entre autres Lanjuinais, Kersaint, Boissy-d’Anglas, n’ont pas non plus voté la mort, prétendant Louis XVI couvert par son inviolabilité constitutionnelle ; or, ni les uns ni les autres, lorsque sous la terreur leurs adversaires politiques sont devenus tout-puissants, n’ont été inquiétés pour le fait même de leur vote, en vertu de la liberté de discussion ; et la droiture de leur conscience, la probité de leur opinion, les laissaient en paix avec eux-mêmes et avec autrui. Mais l’avocat Desmarais, tel qu’on le connaît maintenant, éprouvait et devait éprouver les continuelles angoisses du criminel qui voit partout autour de lui des juges et des bourreaux ; cependant, selon son habitude, il dissimula ses ressentiments, et affectant de sourire, il répondit à Jean Lebrenn, que, pour tant de motifs il tenait à ménager :

— Ma foi, mon cher élève, vous pourriez bien, cette fois, avoir raison contre votre maître : la mort du tyran, en effet, causera aux patriotes mieux encore que le délire de la joie, un recueillement religieux,