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conjurés pour l’avenir, grâce au mariage de ma fille avec ce… Lebrenn. »

— Ah ! ma mère, plus de doute, je comprends maintenant pourquoi mon père a, soudain, consenti à mon mariage.

« — Nous vivons, madame, en de si terribles temps, — a ajouté ton père, — et je suis dans une position telle, retenez bien ceci, qu’il se peut qu’un jour je n’aie pas d’autre moyen d’échapper à la guillotine que d’en faire guillotiner d’autres à ma place ; or, dans cette extrémité, je vous y enverrais vous-même, oui, vous-même, entendez-vous, madame ? parce que je tiens par-dessus tout à la vie, moi. »

— Ah ! ma mère, c’est affreux !

« — Que ces paroles soient toujours présentes à votre esprit, madame, et règlent désormais votre conduite, — a dit ton père en terminant ; — et, pour vous prouver qu’elles sont sérieuses, et que je ne joue pas un rôle, je vous déclare que, demain, afin de me dégager de toute responsabilité envers vous et votre frère, je le dénoncerai formellement au comité de sûreté générale, donnant toutes les indications qu’il me sera possible de puiser dans ma mémoire, afin de le faire arrêter ; de plus, je vous dénoncerai formellement vous-même comme complice de l’évasion de ce traître. Je ne sais quelles seront pour vous les suites de cette dénonciation, mais, en tous cas, elle vous aura, je l’espère, servi de leçon pour l’avenir. Vous ne croirez plus, et surtout vous ne direz plus à personne que je joue un rôle en rugissant avec les tigres, car, ne l’oubliez pas, je suis résolu d’être tout de bon un tigre ; et, sur ce, bonsoir, madame. » — Telles ont été, mon enfant, les paroles de ton père, — ajouta madame Desmarais en cachant dans son mouchoir son visage baigné de larmes.

Charlotte, accablée, ne répondit rien ; elle luttait depuis la veille contre les douloureux ressentiments que lui inspirait, malgré elle, le souvenir de l’odieuse hypocrisie dont son père avait fait montre