Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profonde, cet admirable bon sens pratique qui le caractérisait, lorsqu’il n’était pas sous le coup de sa monomanie sanguinaire et dictatoriale :

« — … L’orgie a eu lieu !… L’alarme est générale. Il n’y a pas un instant à perdre. Tous les bons patriotes doivent s’assembler en armes, envoyer de forts détachements pour s’emparer des poudres d’Essonne ; chaque district doit aller chercher ses canons à l’Hôtel de Ville. La garde nationale n’est pas assez dépourvue de sens pour refuser de s’unir à nous et s’assurer de ses chefs, s’ils donnaient des ordres hostiles au peuple. Enfin, le péril est tellement imminent, que c’est fait de nous, si le peuple ne nomme un tribun et ne l’arme de la force publique ! »

Paris, averti, éclairé, soulevé par ces ardents appels à son énergie révolutionnaire, bientôt se rassemble et s’insurge ; mais, chose étrange et touchante à la fois, le signal de cette nouvelle insurrection est donné par des femmes ! Les farines commençaient de manquer par suite du complot de la cour ; une jeune fille du quartier des halles entre dans le corps de garde de Saint-Eustache, s’empare d’un tambour, parcourt les rues en battant la charge et criant : Du pain… du pain ! — Une foule de femmes se joignent à elle et envahissent l’Hôtel de Ville, où se tient rassemblé le directoire, notoirement monarchien ; ces viriles Gauloises réclament des armes et de la poudre, s’écriant : « — Que si les hommes sont assez lâches pour ne pas se rendre avec elles à Versailles, elles iront seules demander du pain au roi, et venger l’insulte faite à la cocarde nationale ! » Stanislas Maillard, huissier, l’un des héros de la Bastille, harangue ces vaillantes, les modère, les engage à mettre de l’ordre dans leurs rangs. Elles le reconnaissent pour leur chef, et se donnent rendez-vous aux Champs-Élysées, d’où elles partiront pour Versailles après avoir fait de nouvelles recrues de leur sexe. Le citoyen Moittié, marquis de La Fayette, grand seigneur et constitutionnel, courageux soldat de l’indépendance américaine, homme intègre, dévoué à la liberté,