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et montés par des postillons aux chapeaux ornés de cocardes et de longs rubans tricolores. L’un de ces postillons, quelque peu aviné, faisait de temps à autre claquer son fouet en criant d’une voix enrouée :

— Vive la nation ! Le gros Veto f…ait le camp ; on l’a rattrapé ; on vous le rapporte, le gros Veto !

Mais les propos du postillon ivre ne trouvaient aucun écho dans la foule muette et sévère. Nous avons vu sur le siège du devant de la berline, destiné au cocher, trois hommes garrottés, portant des vestes de livrée couleur chamois, galonnées d’argent, et des bottes fortes ; ils jetaient sur la foule un regard de mépris courroucé. Ces hommes, ainsi que nous l’avons entendu dire autour de nous, étaient trois gardes du corps déguisés en courriers, qui accompagnaient Louis XVI lors de son évasion, et commandaient les relais sur sa route. Deux grenadiers, la baïonnette au fusil, et placés de chaque côté de l’avant-train de la voiture, à proximité du siège où se tenaient les trois gardes prisonniers, veillaient sur eux. En cette occasion, le bon sens, la générosité populaire, se manifestèrent d’une manière touchante. Nous avons entendu dire autour de nous, au sujet de ces trois gardes du corps, quoique leurs compagnies, lors des sanglantes journées des 5 et 6 octobre (1790) à Versailles, eussent par leur violente agression soulevé contre eux la juste irritation des Parisiens :

— Pauvres gens… Après tout, s’ils ont suivi le roi, c’était par fidélité pour leur maître et pour lui obéir…

— C’est vrai ! Pourquoi donc sont-ils liés de cordes, tandis que Veto n’est pas garrotté ? Est-ce qu’il n’est pas le seul coupable ?

La voiture avançant au pas et très-lentement, nous avons pu parfaitement voir la famille royale. Louis XVI, vêtu d’un habit marron à collet droit (son déguisement de valet de chambre de la prétendue baronne de Korff), occupait la place droite, au fond de la berline, à la portière de laquelle se pavanait à cheval, souriant et triomphant d’orgueil, le général La Fayette ; il ramenait son roi fainéant, dont il espérait alors être le maire du palais. La figure bouffie de Louis XVI,