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assez large… refoulez ce monde-là… et s’il résiste… crossez le ! !

L’ordre du commandant Hubert fut exécuté, mais moins durement qu’il ne l’enjoignait ; les grenadiers repoussèrent pourtant assez rudement les premiers rangs de la foule, et ceux-ci refluant sur les autres rangs déjà entassés, il s’en suivit quelque désordre dans cette masse compacte ; plusieurs voix s’élevèrent contre la garde bourgeoise ; mais à l’instant circulèrent ces avertissements salutaires et bientôt écoutés :

— Du calme, citoyens, du calme ; — on veut nous provoquer, — on veut une journée, — on ne l’aura pas ! !

Cet incident a été bientôt oublié, car l’on a entendu ces mots, répétés de proche en proche : — Voilà le roi ! — Voilà Capet ! — Voilà M. et madame Veto ! — L’attention générale s’est alors portée vers le cortège royal. Au moment où il passa devant nous, les éclairs, les coups de tonnerre devinrent plus fréquents, le ciel s’assombrit davantage et donna une teinte lugubre au spectacle dont nous étions témoins. Un bataillon de garde nationale, précédé de l’état-major de La Fayette, ouvrait la marche ; puis venaient les deux voitures royales. Ah ! ce n’est plus le temps des splendeurs monarchiques, payées des sueurs d’un peuple asservi ! Ce n’est plus le temps des équipages dorés, entourés de pages, de laquais, et rapidement emportés par huit chevaux richement caparaçonnés, précédés de piqueurs aux livrées éclatantes, escortés d’écuyers, de gardes, de gentilshommes chamarrés de broderies d’or et d’argent, et passant comme un éblouissant tourbillon ! Non, non, ce n’est plus le temps où le peuple craintif, servile, façonné par une dégradante suggestion au respect machinal de ses maîtres, criait des lèvres : — Vive le roi ! — Non, ce temps-là n’est plus…

La première des deux voitures qui contenaient la famille royale et sa suite était une énorme berline jaune ; elle avait servi à la fuite de Louis XVI. Couverte de poussière et de boue, elle était lentement traînée par six chevaux de poste grossièrement attelés avec des cordes,