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— Lisez… lisez… — reprennent d’autres membres du club s’adressant à l’orateur des cordeliers ; il continue ainsi :

« — Les bons citoyens ont gémi de la renaissance d’une royauté qu’ils croyaient à jamais anéantie par la déclaration des droits de l’homme.

» Les opinions se sont violemment heurtées ; mais la loi existait, nous lui avons obéi, attendant notre salut du progrès des lumières et de la philosophie.

» Les temps sont changés. Louis, par sa fuite, abdique la royauté… il n’est plus rien pour nous, sinon un ennemi… Nous voici donc ce que nous étions le jour de la prise de la Bastille, libres et sans rois ! »

Ce langage mâle, concis, logique, qui entrait si profondément dans le vif de la question, et répondait si bien et si juste aux aspirations et aux instincts du peuple, qui n’avait durant cette soirée que marché de déceptions en déceptions, excite par cela même chez lui un indicible enthousiasme. Un tonnerre d’applaudissements succède aux dernières paroles de l’orateur des cordeliers. Elles sont répétées dans les tribunes qui, se levant par un mouvement spontané, s’écrient tout d’une voix :

— Oui, oui… restons libres et sans rois !

— À bas les factieux des tribunes ! — À bas les anarchistes ! — s’écrie un Jacobin exaspéré.

— Nous, des anarchistes ! nous, des factieux ! ! — répond d’un accent de reproche amer et courroucé un citoyen placé près de Victoria. Celle-ci, effrayée ainsi que moi des conséquences déplorables que pouvait avoir pour la révolution une scission entre le peuple et les jacobins, ses amis dévoués malgré leur erreur d’un jour, se retourne vers les tribunes et d’une voix à la fois touchante et sonore :

— Je vous en adjure, citoyens ! au nom de la sainte patrie, notre mère ! restons fraternellement unis ! Notre désaccord, à qui profiterait-il ? À nos ennemis… Ah ! vous le savez, la révolution