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justice et la morale éternelle. Tout ce qui dévie de cette ligne inflexible est à ses yeux, un crime que n’excuse pas même l’intérêt flagrant du salut public.

— Il est vrai… hum ! hum !… C’est, en effet, le seul point sur lequel je n’ai jamais pu obtenir quelque concession de la part de mon élève, tandis que moi… je ferais tomber cent mille têtes pour sauver la révolution ; je suis, vous le savez, cher Billaud‑Varenne, de l’école de Marat.

— Jean Lebrenn n’est point de cette école-là, tant s’en faut ; car je n’oublierai jamais que, causant avec lui de la fatale nécessité des journées de septembre…

— Elles ont sauvé la révolution ! S’il fallait les renouveler, je les verrais renouveler avec une satisfaction patriotique ! Le sang des aristocrates et des calotins est-il donc si pur !

— Toujours est-il, — reprit Billaud‑Varenne, paraissant peu sensible aux doctrines impitoyables de l’avocat, — toujours est-il que, causant des journées de septembre avec Jean Lebrenn, et lui disant ce dont je suis persuadé : que cette terrible exécution avait sauvé la révolution et la France, il m’a répondu : « Je ne le crois pas ; mais si la patrie ne pouvait être sauvée que par un crime monstrueux, je dirais : Périsse la patrie ! car si elle ne peut vivre que par le crime, elle est indigne de figurer parmi les nations, et elle est fatalement destinée à périr tôt ou tard… » Ces belles paroles, sans me convaincre, m’ont pourtant beaucoup frappé, car elles sont rigoureusement vraies au point de vue de la justice abstraite, et vraies encore au point de vue de l’humanité, grands principes qui, en théorie, du moins, doivent primer toutes les considérations secondaires ; Marat, à qui je rapportai ces paroles, en a été frappé comme moi.

— Quoi ! Marat n’a pas dénoncé Jean Lebrenn comme un traître, en raison de ce blasphème contre le salut public ?

— Plus que personne, au contraire, Marat apprécie le courage, le