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coiffée du bonnet des veuves : elle était d’une mortelle pâleur ; de vifs chagrins, ou la suite d’une longue maladie, avaient sans doute profondément altéré sa santé, car cette veuve valétudinaire marchait avec peine en s’appuyant sur le bras de son fils, jeune homme frêle, de petite stature, et presque aussi pâle que sa mère ; mais le feu de son regard, l’énergie de sa physionomie, annonçaient en lui une puissance morale hors de toutes proportions avec sa débile apparence ; cependant il venait s’enrôler, consultant plus sa bravoure que ses forces. Au moment où il s’apprêtait à quitter le bras de sa mère, afin d’entrer dans la tente et d’inscrire son nom sur le registre des engagements, j’ai été témoin d’une scène muette, navrante… dont la mémoire me sera toujours présente ; le jeune homme allait donc quitter le bras de sa mère, lorsque soudain et par réflexion elle le retint presque convulsivement et se serra contre lui. Ce mouvement involontaire disait évidemment qu’en ce moment suprême la veuve hésitait à se séparer, sans doute, hélas ! et pour toujours, de son fils, car je lisais dans le regard poignant qu’elle jetait sur lui cette pensée douloureuse :

« — Je suis bien maladive, tu es bien chétif, mon pauvre enfant ; je ne résisterai pas au chagrin de ton absence ; et toi, tu succomberas aux fatigues de la guerre ; nous ne nous reverrons plus. Ce sacrifice est au-dessus de mes forces ; ne nous séparons pas, je t’en conjure, ne m’abandonne pas ! »

Mais, tout à coup, le canon d’alarme, qui continuait de retentir de cinq minutes en cinq minutes, se fait entendre. La veuve, à ce bruit, lève les yeux au ciel et, d’un geste prompt, sublime, pousse son enfant vers la tente, en semblant lui dire :

— Va ! quoi qu’il m’en coûte, fais ton devoir, la patrie t’appelle !

Mère vaillante, elle n’avait qu’un fils, et au salut du pays elle faisait cette offrande de la chair de sa chair, du sang de son sang, n’espérant plus revoir cet enfant, son unique consolation peut-être !

Pendant que le fils de la veuve signait son enrôlement d’une