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— Voilà un petit cœur en or et mon dé en argent : c’est tout ce que j’ai de plus précieux ! — ajoute la jeune fille en rougissant, et la chère enfant tire de sa poche son dé, puis détache de son cou un lacet noir, ayant pour coulant un petit cœur en or ; elle se disposait, ainsi que sa mère, à déposer cette offrande sur le tambour servant de table, lorsque l’officier municipal leur dit d’une voix émue :

— Citoyennes, je vous remercie au nom de la nation, mais ce n’est pas ici qu’on reçoit les offrandes à la patrie, c’est à l’Hôtel de Ville ou à la barre de l’Assemblée nationale ; permettez-moi, cependant, de vous demander votre nom, car j’admire votre civisme.

— Je me nomme Marthe Villaume, — répondit simplement la mercière, et s’adressant à sa fille : — Allons porter notre offrande à la barre de l’Assemblée, mon enfant…

Ah ! fils de Joël, retenez le nom de Marthe Villaume ! Dites ! quoi de plus touchant que ce modeste don à la patrie ! oh ! bien touchant ! Ne représente-t-il pas l’épargne, le luxe, la parure de ces deux pauvres généreuses créatures ? Ces trois louis, sans doute économisés à grand’peine ; cette vieille timbale d’argent, à laquelle se rattachent de pieux souvenirs de famille ; enfin ce petit cœur en or, unique joyau, unique parure de la jeune fille, et puis son dé en argent, symbole de ses journées laborieuses. Ah ! si respectable qu’elle soit, qu’est-ce que l’offrande d’un riche, prise sur son superflu, auprès de la modeste offrande de la mercière et de sa fille ? Leur nom obscur vivra du moins dans l’histoire, ainsi que celui de tant d’autres donataires. Je citerai tout à l’heure ces noms, car je devais revoir Marthe Villiaume à la barre de l’Assemblée, parmi le grand nombre de personnes de toute condition qui accouraient faire hommage à la patrie de ce dont elles pouvaient disposer pour sa défense ! Admirable élan dont le souvenir fera peut-être un jour oublier le côté sanglant, fatal de ces grands jours immortalisés par tant d’actes civiques !

Marthe Villiaume venait de quitter la tente des enrôlements, lorsque j’ai vu s’en approcher lentement une petite femme en deuil,