Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

expression du sentiment général actuel (demain, sans doute, l’opinion changera) au sujet du massacre des prisons. Ah ! c’est qu’aujourd’hui, ainsi que le disait ce pauvre homme, avec une cruauté naïve, c’est qu’aujourd’hui il y a, en effet, quelque chose dans l’air ; c’est qu’en effet on aspire, par tous les pores, je ne sais quel principe contagieux, dont l’influence pénètre les meilleurs esprits, les plonge dans une sorte de vertige homicide ou de folle terreur, qui bouleverse en eux les notions du juste et de l’injuste ! Ainsi, l’atmosphère orageuse, chargée de foudres et de tempête, nous jette parfois dans une anxiété nerveuse, pénible, étouffante et trouble notre sommeil par des songes effrayants. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En sortant de la maison où j’avais trouvé un refuge, je me suis rendu, non pas à ma section, afin d’y rejoindre mes camarades de la garde nationale, ainsi que je me l’étais d’abord proposé ; mais, selon l’appel fait par l’Assemblée à tous les artisans armuriers, forgerons ou serruriers, qu’il devaient être chargés de fabriquer en hâte le plus grand nombre d’armes possible, je me suis dirigé vers l’Assemblée nationale, où se tenait en permanence le comité militaire. J’espérais que le nombre d’ouvriers de ces métiers serait plus que suffisant à la fabrication des armes ; en ce cas, j’étais résolu de partir le lendemain pour l’armée. Deux motifs me dictaient cette résolution : d’abord mon devoir civique, puis le profond chagrin où me jetait l’égarement de l’esprit de Victoria. Oui, en ce moment sans doute, affreuse pensée, elle assistait au massacre des prisons ! calme et farouche comme la déité des représailles. Hélas ! je le sentais, le souvenir de ces sanglantes journées devait me rendre pour longtemps pénible la présence de ma sœur, jusqu’alors tant aimée ; j’avais d’ailleurs reçu, depuis peu de jours, une touchante lettre de mademoiselle Charlotte Desmarais. Elle résidait toujours à Lyon, auprès de sa mère, et m’assurait de sa tendresse, de sa constance inébranlables, ajoutant qu’en face des périls dont les armées coalisées menaçaient le pays, mon devoir de citoyen était tracé ; qu’elle